Je ne connais personne qui se fasse autant de mal qu'Emma. Je ne suis qu'un très jeune médecin mais je ne savais pas réellement ce qu'était la douleur, la force d'un esprit dans la torture. Je croyais naïvement être en mesure d'aider chaque personne qui entrerait dans mon cabinet.
Je ne savais pas que notre conscience pouvait aussi être notre pire ennemi, nous refusant un seul instant de paix. Je pensais qu'avec un peu de volonté on pouvait guérir de tout.
"Du Thercian en gouttes ? Mais quelle horreur !"
Je suis dans la chambre d'Emma. Ses parents m'ont demandé de passer la voir après mes rendez-vous estimant qu'elle était bien trop faible pour conduire. Je partage leur avis. Le seul problème c'est qu'Emma refuse de me parler. Elle reste silencieuse, ignorant totalement ma présence. Elle est assise les jambes croisées sur son lit. Elle porte un grand châle sur ses épaules. On ne peut que noter la maigreur de ses jambes dans un leggins aux motifs de licornes. Elle est touchante et sa faiblesse physique me donne envie de prendre soin d'elle.
Malgré son mutisme je me refuse à l'abandonner. Ses parents ne savent plus comment agir, voyant leur fille dépérir de jour en jour. Je ne sais plus vraiment quoi faire moi-même pour l'aider. Je suis à court d'idée.
Depuis plusieurs semaines que je viens consulter à son domicile je n'ai pas l'impression qu'elle aille mieux. Elle refuse toujours de s'alimenter, elle refuse les traitements que je lui propose. Elle se fane comme le ferait une fleur hors de l'eau.
Je me tiens donc debout devant un tiroir rempli de médicaments en tout genre. Certaines plaquettes sont entamées tandis que certaines boites n'ont même pas été ouvertes. Lorsque je regarde ce tiroir j'entrevois ce qu'on dû être les dernières années de la vie d'Emma.
« Je n'ai rien touché. Mais je les garde au cas où. »
Au cas ou il lui prendrait l'envie d'en avaler la totalité en une seule fois. Je n'arrive même plus à la regarder tant j'ai mal au cœur de la voir ainsi. Alors chaque fois je m'attarde dans la chambre et j'essaie de fixer mon attention sur les petits détails de décoration.
Emma n'est plus du tout combative elle se laisse complètement aller dans son pessimisme. Je commence à comprendre pourquoi Sarah m'a conseillé de la faire suivre par un autre thérapeute. Je ne peux plus l'aider si elle refuse de faire face a sa souffrance. Elle me rend responsable de son échec et donc de son état actuel.
Chaque fois je viens chez elle avec une fiche d'hospitalisation, chaque fois je repars avec.
C'est ici que mon professionnalisme faillit.
Je sais que placer Emma en clinique ne ferait qu'achever le peu de respect qu'elle a encore pour elle-même. Son état actuel nécessite des soins, un accompagnement mais dois-je lui proposer une vie entière dans une chambre froide d'hôpital ? Ainsi que des traitements médicaux lourds et inutiles pour elle ?
D'autant que l'hospitaliser de force ne ferait que la dresser définitivement contre moi.
Je referme ce tiroir alors que je voudrais en jeter tout le contenu. Ça me rend dingue de savoir que sur un coup de tête elle pourrait mettre fin à ses jours.
« Pourquoi est-ce que vous continuez à venir ici ? Vous n'avez pas mieux à faire ? D'autres patients à voir ? Vous voulez vous donner bonne conscience mais fichez-moi la paix ! Ce n'est plus la peine de venir."
Je me retourne vers elle. J'avance jusqu'à son lit et m'assois sur la banquette à ses pieds.
« Vous avez raison. Je devrais partir, je n'ai rien à faire ici. Vous ne faites aucun effort et vous me faites perdre mon temps. » Je suis dur mais c'est nécessaire, pour son bien. Il n'est jamais trop tard pour rattraper quelqu'un lors d'une chute. J'ai travaillé trop dur pour l'abandonner maintenant. J'ai un but : la débarrasser de ses maux.
On n'échappe pas à son karma, je crois qu'Emma doit changer de vie pour reprendre pied.
« Alors allez-vous en. » Elle continue, elle refuse de se battre et ça m'énerve.
Je sais qu'elle me provoque et c'est ce qui me pousse à revenir à chaque fois. À côté de son lit traîne encore une cage de transport contenant les affaires du chien. Elle se culpabilise chaque jour dès lors qu'elle ouvre les yeux. Cette cage lui rappelle un échec que nul autre personne ne prendrait autant à cœur. Ça lui rappelle qu'elle n'est pas une fille comme les autres.
Ça serait comme rester prostré devant le cercueil d'un parent juste pour ressentir encore et encore cette peine affligeante. Emma a toujours du supporter chaque journée. Elle pense devoir souffrir et que ça fait partie de toute vie. Elle se méfie du bonheur, ça ne peut pas être réel. Se laisser aller c'est prendre le risque de rechuter. Elle pense qu'elle n'est plus assez forte pour affronter les montagnes russes de nos émotions.
Je reste assis près d'elle et j'ai l'impression de capter sa lassitude et sa fatigue.
Quand une idée complètement folle me vient :
« Prouvez moi alors que vous n'avez pas besoin de moi..."
Intriguée, elle ose enfin lever les yeux vers moi et je continue :
« Sortez avec moi ce soir ! » Elle hésite longuement, me regarde. Elle ne comprend pas. Elle cherche le piège. Un sourire s'installe un instant croyant à une blague. Mais je la regarde droit dans les yeux.
Je la mets au défi de sortir, d'affronter ce qui l'effraie à l'extérieur. Elle doit quitter cette chambre qui l'empoisonne.
Je veux être avec elle. Je veux avoir la chance de passer une soirée avec elle.
« Vous ne m'obligerez pas à manger ? »
Je me lève et je viens m'asseoir près d'elle. Je retire le châle de sur ses épaules pour le faire glisser de son dos et tomber au sol. Il est temps qu'Emma se lève.
« Je vous le promets. »
Elle me demande quelques instants pour se préparer. Je descends donc rejoindre ses parents pour leur demander leur autorisation même si elle ne s'avère pas nécessaire étant donné qu'Emma est adulte. Ils sont soulagés de savoir qu'elle va enfin quitter cette chambre. Je leur promets de prendre soin d'elle.
Oh ça oui, je le promets...
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Thérapie illégale (sous contrat d'édition M.E.C)
RomanceMax, nouvellement diplômé en psychiatrie se voit confier le dossier d'une patiente fatiguée de vivre. L'éthique voudrait qu'il vienne en aide à cette jeune femme sans s'impliquer émotionnellement mais il ne peut rester insensible à sa détresse. Il v...