Silent Disaster (1)

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Une sorte de routine s'est installée, les parents d'Emma et moi nous disputons sa garde, son attention comme des parents celle d'un enfant après un divorce. J'essaie de ne pas les croiser lorsque je passe la chercher chez elle. À la sortie des cours, il n'est pas rare que Claire soit là avant moi afin de ramener sa fille chez elle. Le problème dans tout ça c'est qu'Emma dépérit de jour en jour et je n'ai pas l'impression qu'ils s'en inquiètent. Je le vois, je le ressens mais elle continue de nier et de maintenir que ça ira, que l'intégration dans cette nouvelle école est plus difficile que ce qu'elle pensait.

Je m'inquiète c'est indéniable. Emma n'est plus que l'ombre d'elle-même. Elle me sourit pour me rassurer mais je la sens absente, déconnectée. Perdue dans ses pensées elle ne me parle presque plus, elle vient se blottir dans mes bras et s'endort dans la minute.

Ces signes je les connais bien, j'avais cependant promis de ne plus jouer les psy avec elle. Aux dernières nouvelles son dossier a été transmis à l'un de mes confrères en ville. Emma ne lui parle pas vraiment. "trop vieux pour comprendre" me disait-elle. Je savais pourtant qu'elle avait besoin d'un soutien psychologique. J'attends avec impatience les vacances de la Toussaint qui seraient comme une vraie bouffée d'oxygène pour elle. Je prévois de l'emmener quelques jours à Paris, histoire de nous retrouver ailleurs que dans mon appartement. Je voulais quitter cette ville et lui faire visiter la capitale.

« Deux bière s'il vous plaît, demande Sarah un serveur en levant le bras.

• Non pas pour moi, je bosse cet après-midi.

• Avec la mine d'enterrement que tu tires laisse-moi t'offrir ce verre. »

Elle conclut alors que le serveur nous apporte nos consommations. Nous sommes déjà vendredi et je partage un déjeuner avec Sarah. Il m'arrive souvent de l'appeler ces derniers temps, sa présence me rassure car j'ai l'impression de partager un peu mon fardeau avec elle. Un fardeau ? Mais depuis quand est-ce que Emma est devenu un fardeau...

J'avale les gorgées de houblon et vide presque le verre. J'ai une peur au ventre qui ne me quitte plus. J'ai une crainte invisible et muette qui m'empêche de trouver le sommeil.

« Je ne te reconnais plus Max.

• Je t'avoue que j'ai aussi du mal à faire le point en ce moment.

• Tu ne crois pas que tu mises un peu trop sur cette histoire ?

• Cette histoire elle a un nom ! »

Je grogne sur elle sans même le vouloir. Légèrement alcoolisé, je laisse parler mon cœur.

« Je suis désolé mais elle m'inquiète tellement. Tout ce que je veux c'est qu'elle soit heureuse.

• Mais tu sais que ça ne dépend pas de toi. »

Voilà la première chose que l'on nous apprend en psychiatrie : le patient ne doit compter que sur lui-même. Nous pouvons l'aider grâce a des mots, des molécules, un soutien mais en aucun cas nous ne pouvons sauver quelqu'un qui souhaite couler.

"Max... L'amour ce n'est pas magique. Emma a vécu tellement de choses avant de te rencontrer qu'il lui faudra du temps pour trouver un équilibre. Arrête de t'inquiéter autant ou tu vas finir par lui transmettre ta propre anxiété."

Cela a été terrible pour moi de transmettre à un autre thérapeute le dossier d'Emma après l'avoir aidée pendant plus d'une année. C'était encore pire de devoir m'effacer, garder mes inquiétudes pour moi alors que j'ai l'impression que nous allons échouer, là maintenant. Emma se vide de ses forces et refuse de l'admettre. Lorsque j'adorde le sujet ou que je voudrais lui préparer un repas elle détourne mon attention. Elle me provoque sexuellement ou se met dans une colère noire. Je vois notre travail disparaître comme du sucre sur lequel on verserait de l'eau chaude. Elle s'effrite, elle disparaît. J'ai l'impression d'être le spectateur qui connaît déjà la fin du film.


*flash back*

Emma me rejoint dans la voiture elle claque la portière derrière elle et pose son sac sur ses genoux avant de finir par se tourner vers moi. Elle soupire et dépose un baiser sur ma joue.

Je dois la conduire devant chez son nouveau thérapeute.

« Tu sais que tu devrais lui en parler.

• Mais de quoi Max ? »

Découragé et ne me sentant pas la force d'insister cette fois ci je démarre et m'engage sur la route.

« Tu sais quand j'étais petite je me demandais si c'était normal de se poser autant de questions. Je me demandais si les autres se les posaient aussi. Maintenant je sais que non et je ne regrette pas d'avoir gardé tout ça pour moi aussi longtemps. La tristesse, l'angoisse et la peur que je ressens ne me quittent jamais. Tu as beau me répéter que c'est pareil pour tout le monde je sais que c'est anormal chez moi et je sais que personne ne peut rien y faire. J'ai du apprendre à vivre avec. »

Elle ne se plaint pas, elle ne fait qu'exposer des faits que je refuse d'accepter. Je ne doute plus qu'Emma soit différente. Si je l'ai tant forcé à changer c'est parce que je croyais que la vie avait de bonnes choses à lui offrir. Maintenant je la vois si fatiguée que je commence à en douter.

*fin du flashback*

Thérapie illégale (sous contrat d'édition M.E.C)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant