1 : Bannière au corbeau

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Godwin chevauchait au pas, à la tête de la file d'une cinquantaine de soldats qui se frayait un chemin entre les pins enneigés. Il resserra les pans de sa fourrure sur l'ensemble de cuir et de pièces de métal qui lui servait d'armure. Il détestait la neige.

À côté de lui, un de ses compagnon poussa un long soupir, et un nuage de buée s'échappa de ses lèvres.

— Patience, Edmund. Nous arrivons bientôt.

Il disait vrai : le dénommé Edmund pouvait apercevoir dans le ciel la fumée d'une habitation. Quelques minutes de chevauchée plus tard, ils arrivaient en vue d'une longue maison rectangulaire. En bas de la colline, quelques esclaves, occupés à raccommoder en vain mur d'enceinte, se démenaient dans la neige.

Lorsqu'ils aperçurent l'ennemi, ils coururent vers la maison donner l'alerte. Aucun d'eux n'aurait le temps de s'enfuir : la vague écrasante de saxons déferlait déjà sur eux.

Godwin avait soif de sang et de vengeance, comme beaucoup ici. Nombre des hommes qui l'accompagnaient avait choisi de se battre après avoir vu un frère, une épouse, voire une famille périr sous les lames des barbares du Nord.

Les barbares sortirent dehors, armes au clair, s'avançant dans l'étendue blanchâtre. Ils étaient un petit nombre, à peine une dizaine. Leurs lames brillaient sous les nuages voilés d'un gris perle. Les saxons se mirent en position. Godwin dressa son épée vers les cieux, sentant l'excitation du combat monter en lui, et la fièvre s'emparer des rangs. Il attendit quelques secondes, épée brandit, savourant la sensation qui envahissait chaque parcelle de son corps. Puis, avec un grand cri, il talonna les flancs de sa monture, et ses hommes chargèrent les scandinaves en hurlant.

Les flocons fouettaient leurs visages par rafales tandis qu'ils descendaient de leur promontoire au galop. Le choc entre les deux groupes fut violent, malgré l'évidente supériorité numérique des guerriers saxons.

Du coin de l'œil, Godwin vit le cheval d'Edmund s'écrouler à terre. Il ne prit pas le temps de vérifier si son ami n'avait pas souffert de sa chute.

Godwin faisait voltiger son épée en une danse mortelle, et elle faucha un des barbares lorsqu'il passa à ses côtés. Il sauta à bas de son destrier, s'avançant vers les ennemis.

Aussitôt, un colosse qui arborait une longue barbe rousse courut à sa rencontre en un grand cri, épée levée au-dessus de sa tête. Ils croisèrent le fer, s'échangeant des coups tels que Godwin sentait tout son bras trembler à chaque estocade. Une feinte manqua de peu de le laisser sans tête. Le mastodonte qui lui faisait face était impressionnant de concentration et de maîtrise, maniant sa lourde arme comme si elle n'avait rien pesé.

Godwin avait pour lui la soif de vengeance et la dextérité. Il combattait avec hargne, se jetant corps et âme dans l'échange de coups qui se succédaient. Il avait conscience de chacun de ses gestes avec une acuité accrue, mouvant sa lame avec grâce, au rythme de son cœur qui réclamait le sang à grand cris.

Enfin, une ouverture lui permit de frapper son ennemi à la gorge. Il tomba à genoux dans une succession de borborygmes et de flots de sang, en lâchant son épée que l'anglais s'empressa de mettre hors de portée. Godwin regarda son adversaire se vider de son sang, maculant la neige blanche de sillons pourpres.

Lorsqu'il détacha son regard, il observa avec satisfaction que ses frères d'armes s'étaient bien battus.

Un grand silence s'était abattu devant la demeure. L'assaut était terminé. Le meneur compta ses hommes, et évalua les dégâts : ils étaient sains et saufs, hormis quelques vilaines plaies, et un cheval tué.

Une fois cela fait, il entra dans la maison. Il franchissait le seuil lorsque les pleurs d'un enfant fendirent l'air. En quelques secondes, Godwin sentit le poids de tous les regards qui s'écrasaient dans son dos. Il ne pouvait que trop bien deviner les mines affligées de ses compagnons. Tuer sur le champ de bataille en y défendant sa vie était une attitude rationnelle. Mais mettre à mort un enfant ?

Thraell : jusqu'à ce que le monde s'effondre [SOUS CONTRAT D'ÉDITION]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant