Eldrid avait mal. Une douleur aiguë et sourde à la fois, tapie dans son âme, étendant ses filaments noirâtres dans chaque parcelle de son corps. Elle avait du mal à respirer. Chaque pas l'entraînait loin de ce qu'elle avait été, loin des siens, ou du moins de ce qu'il en restait. Ils étaient morts, tous autant qu'ils étaient.
Elle se sentait nue, projetée dans un monde inconnu et beaucoup trop vaste.
Surtout, elle haïssait l'homme qui chevauchait derrière elle et qui l'avait arrachée à son passé. Elle pouvait encore sentir la morsure du glaive sur son coup. Elle se maudissait pour ses supplications. « Je ne suis pas une ennemie. Ne me tuez pas ! ». Elle en avait honte. Elle aurait dû périr aux côtés du Konungr. C'était peut-être ça, le pire, la culpabilité féroce qui broyait son ventre, qui serrait son cœur, au rythme de ses pensées confuses.
Elle se raidissait à chaque fois qu'elle entendait les cliquetis produits par ses chaînes qui se balançaient au rythme de la monture. De temps à autre, un sourire amer étirait ses lèvres. Elle était une capture de guerre — encore.
Le saxon chevauchait derrière elle, une main fermement passée autour de sa taille, pour l'empêcher de tomber aussi bien que pour prévenir toute tentative de fuite. Elle imaginait son regard brun, chaud et glacial à la fois, qui devait se poser sur elle. Elle imaginait les traits sévères de son visage, encadré par des cheveux bruns et bouclés qui tombaient jusqu'à ses épaules.
L'image des bâtisses du clan en feu s'imposait sans cesse à son esprit. Elle devait se faire violence pour ne pas montrer la peine qui l'envahissait. Toute sa vie était partie en fumée en quelques instants. L'homme à qui elle l'avait dévoué était mort. Elle avait l'impression que le serpent Jörmungand avait enroulé ses anneaux autour d'elle et la faisait suffoquer.
Une voix derrière elle la fit sursauter. Le saxon lui avait posé une question. Ou du moins, c'est ce que le ton de sa phrase suggérait. Elle secoua la tête pour lui signifier qu'elle ne comprenait pas. Il laissa passer quelques secondes, et la thraell se focalisa sur la main gantée qui tenait les rênes. Le cuir était usé, et elle se demanda depuis combien de temps il s'était lancé dans la reconquête du nord.
Ses yeux repérèrent le soleil. Ils allaient vers le nord. Poursuivaient-ils leur tâche morbide ? Elle frémit. Jamais elle ne pourrait regarder les siens se faire tuer sous ses yeux.
— Ton nom, fit le saxon en norrois.
Elle retint à grande peine un sourire moqueur. Il ne savait même pas poser une simple question. Il avait décidément bien plus de facilité à comprendre qu'à parler.
— Eldrid.
— Eldrid, répéta-t-il.
Elle hocha la tête. Ils chevauchèrent en silence pendant quelques minutes, avant que la thraell ne se décide à poursuivre la discussion.
— Et toi ? Quel est ton nom ?
Elle avait articulé sa phrase du mieux qu'elle le pouvait, espérant qu'il retiendrait la formulation. Malgré la colère qui envahissait chaque parcelle de son corps, elle avait conscience du fait que, tôt ou tard, elle aurait besoin de quelqu'un avec qui communiquer. Elle aurait préféré trouver n'importe qui d'autre que ce guerrier saxon, mais personne d'autre ne lui avait adressé la parole depuis les quelques heures qu'elle avait passé en sa compagnie.
— Godwin.
Comme il l'avait fait pour son prénom, elle le prononça à voix haute. Elle fit rouler son nom sur sa langue, en goûta les syllabes si douces pour un homme si cruel. Un frémissement parcourut son dos, et elle se jura de venger les siens. Elle endormirait sa méfiance derrière des airs d'esclave effarouchée, elle jouerait le rôle qu'Erling Bjarnason avait taillé pour elle. Et lorsque le moment serait venu, elle le tuerait de ses mains.
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Thraell : jusqu'à ce que le monde s'effondre [SOUS CONTRAT D'ÉDITION]
Historical Fiction[Édité aux éditions HLAB (Hachette) sous le titre "ELDRID"] Premiers chapitres (non corrigés) disponibles sur Wattpad Angleterre, XIe siècle. Les combats entre Saxons et Vikings ravagent le pays tout entier. Eldrid est née saxonne, mais a été captur...