9 : Briser les chaînes

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Ils avançaient au pas, le long d'un chemin bordé de pins. Le ciel était lourd, d'un gris tirant vers un noir menaçant.

Eldrid fixait d'un œil maussade les chaînes qui reliaient ses poignets. Voilà près de six semaines qu'elle les portait nuit et jour. Ses avants-bras était rougis par les frottements, ses cuisses perclues par les coups qu'elle se donnait involontairement en chevauchant. Il n'était pas rare que les maillons percutent son visage lorsqu'elle mettait pied à terre, ou s'emmêlent avec la crinière brunâtre de sa monture. Le cheval, qu'elle avait baptisé Hati, était placide et ne semblait pas s'en plaindre.

Si Godwin la voyait marmonner des injures en norrois à longueur de journée en pestant contre ses entraves, il ne faisait cependant rien pour les lui ôter. Le soldat chevauchait à sa droite, en tête de cortège. Il avait accroché la bride d'Eldrid au pommeau de sa propre selle, de manière à ce qu'elle ne puisse s'enfuir.

Soudain, le destrier de Godwin fit un brusque écart. L'agitation gagna rapidement les autres montures, et certaines se mirent à piaffer et à renâcler. Eldrid vit plusieurs anglo-saxons empoigner leurs armes.

Godwin lui fourra son poignard dans la main. Avant qu'elle n'ait pu poser la moindre question, il projeta la thraell à terre. Ses poumons se vidèrent sous l'impact, et une vague de douleur descendit le long de son dos. En tentant de reprendre son souffle, elle nota que le tapis d'aiguilles était couvert de givre, et scintillait doucement sous la lueur du ciel orageux. Puis elle hurla de frayeur lorsque les sabots de Hati heurtèrent le sol à quelques centimètres de sa tête.

Elle entendit Godwin crier des ordres par-dessus les battements affolés de son cœur.

Eldrid se redressa sur un coude, pour apercevoir les soldats en plein combat. Elle n'avait aucun doute sur l'identité des assaillants : il s'agissait de vikings. Tandis qu'elle tâtonnait au sol pour retrouver le poignard de Godwin qu'elle avait laissé s'échapper, elle en vit un, fauché par l'épée d'un des saxons. Avant de comprendre ce qu'elle faisait, elle avait resserrée son emprise sur le manche du couteau et s'était relevée.

Elle courut le long du sentier, ses chaînes cliquetant avec fracas à chacun de ses mouvements. Un choc au niveau de ses chevilles la fit rouler au sol, sur le tapis d'aiguilles de pin. Aveuglée par la peur, elle n'enregistra qu'une succession de sensations. L'odeur d'humus et de sève, les effluves âcres de sang. La vue d'un reflet du soleil sur une lame, le son d'un cri guttural.

— Je suis des vôtres ! hurla-t-elle.

La lame s'arrêta. On l'empoigna par ses chaînes pour la relever. La haute silhouette de l'homme du Nord disparut au milieu de la mêlée, et les remerciements qu'Eldrid s'apprêtait à prononcer moururent sur ses lèvres.

Là, au milieu du chaos, la situation lui apparut soudain avec une clarté des plus limpide. Elle devait trouver le Konungr, rejoindre les siens, s'enfuir, retrouver Sigrún, Örvar et ceux du clan qui avaient rejoint le royaume du Danemark.

Elle trouva Erling Bjarnason dans le chariot où les saxons l'avaient entravé.

— Qu'est-ce que tu fiches, thraell ?

— On doit partir.

Elle brandit son arme et entreprit de défaire les liens de corde du Konungr. Il la laissa faire en silence, la mâchoire crispée. Visiblement, il lui en coûtait de devoir compter sur une esclave pour se libérer.

— Dépêche-toi, thraell.

Elle croisa le regard gris du chef de clan, et sentit son ventre se comprimer avec violence.

Thraell : jusqu'à ce que le monde s'effondre [SOUS CONTRAT D'ÉDITION]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant