8 : Corps et âme

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Eldrid fixait son Konungr, ahurie. Il ne pouvait pas être là, à moins d'être revenu d'entre les morts. Pour une obscure raison, on l'avait autorisé à fouler à nouveau la terre du monde des hommes mortels. Ce ne pouvait être que cela, car sinon comment expliquer le fait qu'il n'avait pas péri aux côtés des siens ? Elle avait vu l'attaque, elle avait entendu les cris, elle avait vu les habitations brûler. À la lueur de la torche que tenait un des soldats, elle put voir qu'Erling Bjarnason gardait les yeux rivés sur le saxon, ses traits tirés dans une colère glaciale, son corps tendu à l'extrême sous l'arme de Godwin.

Le regard de celui-ci passait du chef de clan à Eldrid.

— Qu'y a-t-il ? demanda-t-il en norrois.

Elle jugea préférable de ne pas lui dévoiler l'identité de l'homme qui était sous sa lame.

— Il m'a aidé, il m'a défendu. Tu ne peux pas le tuer, expliqua-t-elle en priant tous les dieux pour qu'il comprenne.

Si elle ne parlait toujours pas la langue des saxons, Godwin en revanche avait fait des progrès impressionnants en norrois.

— C'est un viking. Et il a tué un des nôtres !

Il brandit à nouveau son glaive. Avant de comprendre ce qu'elle faisait, la thraell se leva d'un bond, retenant le bras de Godwin.

— Non ! s'exclama-t-elle encore une fois.

Cette fois, l'anglo-saxon parut franchement agacé. Il se dégagea de l'emprise de la jeune fille d'un geste brusque. Elle montra son agresseur anglais du doigt.

— Il allait... me faire du mal.

— Je sais ! Et lui, ajouta-t-il en indiquant Erling, t'a défendu, d'accord. Mais c'est un viking. Tu comprends ? Un ennemi ! Notre ennemi, ton ennemi.

— Ce n'est pas mon ennemi !

La phrase s'était échappée de ses lèvres avant même qu'elle n'ait songé au danger qu'elle représentait. Elle faisait voler en éclat l'image que le saxon s'était forgé d'elle.

Eldrid n'osait pas croiser le regard du Konungr, de peur de perdre tous ses moyens, mais elle le sentait posé sur elle, comme une lame chauffée à blanc. Quand bien même elle l'aurait voulu, elle était figée sous la lueur orageuse qui brillait dans celui de Godwin. Les flammes de la torche creusait son visage d'ombres menaçantes.

— Il doit détester les barbares autant que nous. Il est exilé, inventa-t-elle. Ça s'appelle le skoggandr. L'assemblée du Thing l'a exilé dans les bois, loin de son clan, à cause d'un crime qu'il a commis.

Godwin eut un sourire narquois.

— Et comment le sais-tu ?

Elle fut prise de court. Ses yeux errèrent un fugace instant sur la silhouette d'Erling Bjarnason. Elle eut juste le temps de noter à quel point son visage était crispé. Sa vie dépendait d'elle, et il ne semblait guère apprécier le mensonge qu'elle créait.

— Je... on m'y avait emmené. Je me souviens de lui.

Le saxon arqua un sourcil, avant de jeter un regard méprisant au Konungr.

— Je préfère ne pas voyager avec un tueur.

Eldrid ne se retint qu'à grande peine de rétorquer qu'ils étaient tous ici des meurtriers.

— Il a sauvé mon honneur, tenta-t-elle une dernière fois. J'ai une dette envers lui.

Godwin se tourna vers le chef de clan.

Thraell : jusqu'à ce que le monde s'effondre [SOUS CONTRAT D'ÉDITION]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant