La monotonie qui s'était abattue sur les soldats anglais n'était pas sans déplaire à Eldrid. Comme l'avait annoncé Godwin, après un dernier bastion danois, ils avaient rebroussé chemin. Alors qu'ils s'arrêtaient pour abreuver les chevaux, le soldat avait esquissé une carte dans la neige, de la pointe de son glaive.
— Nous, nous sommes ici, fit-il en indiquant un point au nord-ouest de la carte, là où ils se trouvaient. J'ai repris ces terres là.
Il hachura du sud au nord une zone qu'Eldrid ne connaissait que trop bien : ces terres appartenaient, ou du moins avaient appartenu, au Konungr. À chaque trait, la thraell avait senti ses ongles s'enfoncer un peu plus dans ses paumes. Chaque marque dans l'étendue blanche était le témoignage d'un carnage qui avait coûté la vie aux siens. Chaque frottement de la lame accroissait la haine qui bouillonnait en elle.
Ses yeux erraient sur la main du soldat, cette main souillée de sang qui lui enserrait la taille lorsqu'ils chevauchaient. Elle avisa le glaive qu'il serrait dans son poing et qui s'y encastrait à la perfection, comme une extension de lui-même. La lame avait vu tellement de morts, et l'homme qui la tenait était bien trop jeune pour avoir occis tant d'ennemis. Elle lui donnait sensiblement le même âge que son Konungr.
À mi-hauteur, le long des côtes à l'est, il avait commencé à tracer une succession de croix : chacune correspondait à un lieu où les saxons avaient massacrés ceux qu'ils considéraient comme des barbares. De ce qu'on lui en avait dit, les scandinaves s'y fondaient depuis quelques années dans la population, en parfaite cohabitation. Que les anglo-saxons reprennent les territoires jadis envahis au nord était une chose qui la révoltait et qu'elle ne cautionnerait jamais, mais qu'elle pouvait appréhender. Ils récupéraient ce qu'ils avaient possédé, d'autant plus que les peuplades du Nord menaient encore des raids vers le sud. Mais en revanche, qu'ils tuent sans pitié des hommes installés pacifiquement sur leurs terres dépassait l'entendement.
Elle pointa du doigt la ligne de croisillons à l'est.
— Ceux qui vivaient ici ne vous ont rien fait. Ils n'envahissaient pas vos terres, ils se contentaient d'y vivre. Alors pourquoi les tuer ?
Les saxons se rendaient-ils seulement compte de ce qu'ils faisaient ? Ne savaient-ils donc rien faire d'autre que de suivre les ordres qu'on leur donnait, sans la moindre conscience ? Elle savait qu'il y avait peu de chance pour qu'il comprenne la première partie de ses paroles, aussi fut-elle à peine surprise par sa réponse laconique :
— Ce sont des vikings.
Eldrid retint à grande peine son envie de lever les yeux au ciel. Sur sa carte à moitié effacée par un coup de vent qui avait fait voltiger la poudreuse, Godwin dessina un cercle, bien plus au sud.
— Nous allons ici. C'est là où je vis, et là où mon roi vit également.
Il fit apparaître un second cercle, au nord-est, et Eldrid lui renvoya un regard étonné.
— Je suis né là, expliqua-t-il d'une voix égale. La Northumbrie. Et toi ?
La capture de guerre fixa un long moment le dessin. Elle n'était encore qu'une petite fille lorsqu'on l'avait ramenée dans le clan de Bjarni. Combien de temps avait duré le voyage ? Sa seule certitude était qu'elle avait chevauché vers le nord du pays, jetée en travers d'une selle, des liens entravant ses chevilles et ses poignets, un bâillon glissé entre ses dents pour mettre fin à ses pleurs.
Elle s'accroupit dans la neige et traça d'un geste hésitant une large zone s'étendant à mi-chemin entre le nord et le sud, avant de lancer à Godwin un sourire désolé. Il haussa les épaules.
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Thraell : jusqu'à ce que le monde s'effondre [SOUS CONTRAT D'ÉDITION]
Ficción histórica[Édité aux éditions HLAB (Hachette) sous le titre "ELDRID"] Premiers chapitres (non corrigés) disponibles sur Wattpad Angleterre, XIe siècle. Les combats entre Saxons et Vikings ravagent le pays tout entier. Eldrid est née saxonne, mais a été captur...