La fin de l'été semblait déposséder le monde de ce qu'il avait d'appréciable.
C'est avec nostalgie qu'Eldrid regardait les herbes onduler dans la brise, sous l'éclat du coucher de soleil, par la porte grande ouverte de la salle commune. Le bois avait été coupé, les réserves formées, et les animaux ne tarderaient pas à être rentrés dans l'étable avoisinante. Bientôt, la neige et le gel interdiraient l'accès aux pâturages et le travail de la terre. Bientôt, son quotidien serait rythmée par l'atmosphère confinée de la skáli, le bâtiment principal. La nuit se coulerait sur le monde, et avec elle viendrait le temps des contes et des poèmes du scalde narrant les exploits des guerriers.
Elle eut à peine le temps de se concentrer sur le repas, qu'elle préparait en compagnie de Sigrún, qu'une clameur l'interrompit.
Des cris résonnèrent à l'extérieur. Eldrid se mordit la lèvre inférieure lorsqu'une dizaine d'hommes entrèrent dans la demeure vêtues de leurs armures.
Voilà pourquoi Eldrid haïssait les jours sombres. L'hiver sonnait le retour des guerriers, et avec eux celui d'Erling Bjarnason, le chef de son clan.
La grande silhouette ne tarda pas à se profiler dans l'embrasure de la porte en titubant : elle se dirigea droit vers un banc au coin du feu et s'y laissa choir.
Les quelques salutations qui s'élevèrent dans la salle moururent devant son silence et son corps ployé.
— À boire, grogna-t-il.
Malgré ses vêtements de voyage poussiéreux, l'entaille qui barrait sa joue, ses cheveux blonds emmêlés et sa barbe qui lui mangeait le visage, il émanait de lui un magnétisme écrasant.
Il figea son regard gris acier, légèrement trouble, droit sur Eldrid. Devant l'éclat d'orage insoutenable de ses yeux, elle baissa les siens. Elle observa stupidement la viande qu'elle était en train de découper : le couteau tremblait dans sa main.
— J'ai dit : à boire.
Cette fois, son ton était calme. Trop, sans doute : il paraissait gronder au loin comme une tempête dévastatrice.
Eldrid tressaillit lorsque Sigrún lui asséna un coup de coude dans les côtes. La femme rondelette qui se tenait près d'elle avait autrefois été une thraell comme elle, avant d'être affranchie des années auparavant. C'était Sigrún qui l'avait élevée, et elle n'aurait pas supporté que celle qu'elle considérait comme sa fille tombe en disgrâce auprès d'Erling Bjarnason.
La jeune fille déglutit :
— Oui, Konungr.
Sa voix n'avait été qu'un mince filet rauque. Eldrid avait pourtant toujours eu une langue acérée : cela lui avait valu, et lui valait encore, bien des problèmes. Mais lorsqu'elle parlait au chef de son clan, sa belle assurance fondait de façon irrémédiable.
Elle posa sa lame, se leva, s'emparant fébrilement de la corne à boire qu'il lui tendait. Elle tentait d'avancer d'un pas égal vers les fûts de bière, lorsqu'il la héla de nouveau.
— Du vin, exigea-t-il.
Son cœur se serra. Pourquoi fallait-il toujours qu'elle soit si incapable en sa présence ? Les joues brûlantes, elle fila vers le tonneau où était entreposé l'onéreux liquide pourpre, emplissant la corne. Elle la lui tendit, manquant de renverser le contenu dans sa précipitation.
Dans la pièce, chacun retenait son souffle, attendant que le chef du clan parle. Erling Bjarnason dévisagea une à une chacune des personnes présentes dans la salle. Puis il se détourna, contemplant les flammes qui brûlaient dans l'âtre. De toute évidence déjà loin d'être sobre, il but le vin, lentement.
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Thraell : jusqu'à ce que le monde s'effondre [SOUS CONTRAT D'ÉDITION]
Fiksi Sejarah[Édité aux éditions HLAB (Hachette) sous le titre "ELDRID"] Premiers chapitres (non corrigés) disponibles sur Wattpad Angleterre, XIe siècle. Les combats entre Saxons et Vikings ravagent le pays tout entier. Eldrid est née saxonne, mais a été captur...