DANGEREUSE MÉLANCOLIE

30 3 3
                                    

   Je fais la sourde oreille, mais elles insistent. Des nouvelles, elles continuent à m'en donner :

- Il va très mal. Il ne se remet pas de ta désertion - les grands mots -, la première fois, il a survécu. Là, ses forces l'abandonnent. Sa dépression ne fait que s'aggraver.

Je me bouche les oreilles. Elle n'a qu'à se débrouiller avec lui ! La colère et la jalousie subsistent.

Les filles sont têtues. Elles aiment leur père et ont peur pour lui. Il est dit que je ne lui échapperai pas.

- On ne te demande plus ton avis . Son état s'aggrave trop . Le médecin est inquiet . Il a dit qu'il n'y a que toi qui peut encore faire quelque chose , le sauver . De gré ou de force , tu viens avec nous . Il faut que tu te rendes compte par toi même , les dégâts que tu as causés .

je ne résiste plus, elles m'emmènent d'autorité à la maison.

Elle nous attend. Elle a vieilli, les traits tirés, le teint très pâle. En quelques mots elle me dresse son portrait : il est l'ombre de lui même, il a beaucoup maigri. Malgré le suivi de son psychiatre, les cachets, rien n'y fait. Il reste dans un état de prostration et de mutisme. Elle a un mal fou à lui faire avaler quelques bouchées. La nuit, il est réveillé par des cauchemars horribles dès qu'il s'endort et çà lui déclenche des crises de désespoir.

- Qu'est ce que tu attends de moi ?, lui demandé-je

- Vas le voir !

Sous entendu : c'est bien à cause de toi qu'il en ait arrivé là.

Je suis entrée dans sa chambre. Il est allongé immobile. Il est pire que la description.J'ai des bouffées de honte qui me submergent. Comment j'ai pu lui faire çà ? D'instinct, je le prends dans mes bras. Je m' assois sur le lit. Il met sa tête sur mes genoux et je lui caresse les cheveux comme à un petit enfant. Je lui murmure en boucle :

- Je suis là.Je suis revenue, je ne repartirai pas ...

j'ai passé la première nuit auprès de lui. Il a réussi à s 'endormir quand le soleil a pointé son nez.

A chaque fois qu'il tombe dans le sommeil, des cauchemars le réveillent. S'en suit une crise de nerfs avec des sueurs, des tremblements, une respiration accélérée. Je lui masse les mains, les épaules et la nuque en chantonnant jusqu'à ce que il se calme. Après je lui rafraîchis le visage.Je l'oblige à boire un peu d'eau avec un calmant. Il ne veut pas se recoucher.

On s'assoit tous les deux sur le lit. Il est dans mes bras.Je lui caresse le visage, le cou.Je lui raconte des histoires. Il n'y a qu'au petit matin qu'il s'est assoupi et moi aussi, la tête sur la sienne. Je n'ai même pas osé bouger d'un centimètre, à demi assise, lui affalé sur ma poitrine et mon ventre.

Elle nous a trouvés comme çà , la matinée bien avancée. Je ne sais pas ce qu'elle en a pensé. On voit qu'elle a fait une vraie nuit, elle.

Il accepte de prendre un peu de pain et de café au lait, trois bouchées qu'il mâche interminablement avant d'avaler. Moi, j'ai faim. Je dévore. Il m'observe. Il a un rictus presque un sourire. Il n' a toujours pas dit un mot. Hier elle a expliqué qu'il est mutique depuis longtemps.

Il faut que je m'en aille. Je n'ai pas d 'affaires. Mon travail m'attend. J'ai une vie. J'avais une vie. Je suis déjà parfaitement consciente que c'est terminé.Je suis retombée dans l'enfer de mon mariage. Et  je n'en sortirai plus jamais. Les filles, elles m'ont inoculé un fort sentiment de culpabilité.J'avais réussi à l'enfouir depuis ma dernière rupture. Il a resurgi dès que je l'ai vu !

Je suis irrémédiablement attachée à lui. On ne lutte pas contre çà. Je ressens pour lui l'amour inconditionnel d'une mère pour son enfant. Pas très conjugal ! Pas encore ! Dans la journée, j'ai réglé mes affaires. Le libraire m'accorde un congés sans soldes . Je prépare du linge, des bouquins et des photos. En fin d'après midi, je suis de retour à la maison.

LE TROIS DE MOI A TOITOù les histoires vivent. Découvrez maintenant