III - La poésie, musique des mots...
Ce n'est pas un hasard si les premiers poètes s'accompagnaient de musique : la poésie est essentiellement musicale ! Les sons des mots sont ses cuivres, ses cordes, ses vents, et les longueurs de mots, de groupes, de vers, de phrases et de strophes en sont les percussions. L'intérêt est de soutenir le sens du texte par la matérialité des sons de la langue afin de produire un effet sur le corps et l'esprit à la fois. N'avez-vous pas remarqué comme les slogans publicitaires rentrent vite dans nos têtes et supplantent notre libre-arbitre pour s'y repaître de notre oisiveté, ce temps de cerveau disponible, comme ils disent ? C'est parce que les publicitaires maîtrisent à la perfection cette ressource musicale de la langue.
Comme pour les couleurs et les fleurs, les sons ont leurs effets, leur symbolique. Rien d'automatique dans tout ça, mais un renforcement de ces sens par l'intensification de la répétition de ces sons ; cette connaissance du phénomène permet aussi, entre plusieurs synonymes ou formulations équivalentes, de choisir ce qui aura le meilleur impact sonore :
- les consonnes dentales, explosives, expriment la violence : p, b, d, t, k, gu ;
- les consonnes fricatives, rugueuses et longues en bouche, expriment la lourdeur, la menace, l'effort, la durée : s, z, ch, j, r, l, v, f + labiales et nasales m et n, désagréables en bouche comme à l'oreille.
- les voyelles, elles, portent l'énergie de la voix avec plus ou moins d'ouverture et de crispation. On mettra à part les voyelles nasales qui, elles, désagréables en bouche comme à l'oreille, renforcent l'inconfort suggéré par le texte (un, an, on).
Pour ce qui est du rythme, il est à lier à la mise en page (répartition des vers sur la page, rapport entre le blanc de la page et le noir du texte, longueur et régularité du vers...). Le dernier siècle a fait voler en éclats toutes les contraintes formelles et on peut désormais tout faire avec son texte, même des dessins (calligrammes - voir mon exemple Le Croque-Monsieur (de Madame) dans la partie Ballade en Poésie de mon recueil de poèmes Aubes et Crépuscules). Du coup, on peut aussi se saisir de la problématique de l'espace visuel lorsqu'on écrit un poème. Je vous renvoie pour l'exemple à l'expérimentation admirable de motscreux- dans son Cirque Crepusculum.
Mais revenons-en au rythme lui-même. Dans un poème, qu'il y ait rime ou pas, le rythme est essentiel. On peut compter la longueur du vers de façon classique en comptant une syllabe par syllabe écrite (synérèse et diérèse éventuelle) et en ne comptant pas le -e de fin de mot en fin de vers ou lorsqu'il précède un mot commençant aussi par une voyelle, puisqu'on ne l'entend pas ; on peut aussi la compter à la paysanne, oralement, en ne comptant pour syllabes que celles qui sont prononcées (apocopes et ellipses éventuelles). Tout dépend du ton et du style du poème, plus ou moins bien adaptés à l'oralité ou à l'écrit. Ainsi, on prend conscience de la longueur de son vers - mais ce n'est pas fini.
Pour qu'il y ait poésie, il faut qu'un rythme soit discernable. Un vers régulier est nécessaire, même si cette régularité se trouvera magnifiée par une irrégularité bien placée, et même s'il y a plusieurs longueurs de vers différentes dans le même poème, tant que chaque longueur revient assez régulièrement pour faire entendre son rythme. En outre, il faut aussi prendre conscience du rythme interne du vers, qui donnera ou pas au poème plus ou moins de puissance. Le rythme interne d'un vers s'incarne par les mots et groupes de mots qui composent le vers : trop de mots brefs hachent et rallongent le vers puisqu'on en dit plus tandis qu'un mot trop long plombe le vers et le raccourcit puisqu'on en dit moins. Généralement, la longueur des parties d'un vers oscille entre 1 et 6 syllabes, à condition que ces 6 syllabes forment la première ou dernière moitié d'un alexandrin sous peine de faire déborder le vers en en masquant le rythme.
Le vers classique découpait par exemple son vers en 3 ou 4 parties égales quand les romantiques alternaient dans un même vers un groupe de 3 syllabes et un groupe de 4. Ça peut paraître anecdotique, tout ça, mais c'est politique : un vers classique est équilibré et incarne la perfection, l'autorité, la puissance, alors que le vers romantique est déséquilibré et incarne le mouvement, la vie, le chaos. Tout un programme... dont on peut avec bénéfice s'enrichir pour progresser. Pour y voir plus clair, ces groupes rythmiques recoupent les groupes grammaticaux : sujet, expansion du nom, verbe, complément de verbe, complément circonstanciel... Un groupe rythmique naît d'une unité de sens, pas d'un nombre de syllabes : on n'isolera donc par exemple pas le pronom "je" du verbe qui le suit dans deux groupes séparés, sauf volonté précise pour un effet de sens ou incise d'un complément à ce "je".
Bien sûr, à cette technique musicale se superposent toutes les stratégies d'argumentation citées ci-dessus pour construire et soutenir le message de votre texte.
ATTENTION - Une partie dédiée à la poésie approfondit tout cela un peu plus loin.
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