II - 4 - Le narratif

223 35 52
                                    

IV - Le narratif, un conteur dans la nuit.

A. Le récit

Narrer, c'est conter une histoire, devenir le conteur, le narrateur qui captive son auditeur ou son lecteur en l'attrapant par les tripes à la première phrase pour le recracher transformé à la dernière phrase. Ça, c'est l'idéal. Hélas, tous les auteurs n'y parviennent pas.

Pour obtenir cette adhésion corps et âme de son lecteur-auditeur, il faut déjà partir d'une intrigue cohérente et logique : les éléments qui composent l'histoire ne doivent pas se contredire, les choses doivent se dérouler logiquement et les personnages agir et réagir de manière vraisemblable. Si de base ces deux facteurs de cohérence et de logique ne sont pas réunis, votre public vous échappe - si vous l'aviez auparavant conquis - ou vous fuit s'il vous découvre. Ces incohérences, illogismes et invraisemblances sont courants dans les histoires que je lis sur Wattpad ; certaines sont de l'ordre du langage (changements de narrateur entre la 1ère et la 3ème personne, changements de temps de narration entre présent et passé, registres de langue inadaptés au contexte (trop ou pas assez familier ou soutenu, par exemple)...) mais d'autres maladresses sont d'ordre essentiellement scénaristique : qu'un personnage soit réel ou imaginaire, naturel ou surnaturel, dans notre monde ou un univers magique, il doit avoir une psychologie et une physiologie cohérentes, vraisemblables, et son comportement doit être rationnel, même si cette rationalité est biaisée par des erreurs de jugement ou des émotions.

Une bonne manière de s'éviter ces irrégularités et maladresses est de procéder à une écriture immersive : identifiez-vous au personnage et devenez lui autant qu'il devient vous. C'est un peu schizophrénique mais jouissif : ainsi, vous avez le plaisir dépaysant de vivre une existence supplémentaire en lui et, en vous ayant en lui, votre personnage gagne en consistance. Prenez le temps de vivre dans la peau de votre personnage : racontez à la première personne, au présent simple de l'indicatif et à un rythme vrai et vous serez juste (mon roman Puzzled procède ainsi, si vous voulez comprendre précisément comment faire).

Trop d'histoires, en effet  sont écrites sans raison à la 3ème personne, à tort au passé simple et, en plus, par maladresse, en résumant l'histoire à une série d'actions stériles car coupées des émotions, des sensations et du lecteur.

Pourquoi écrire à la 3ème personne ? Pour tenir le héros à distance critique, pour lui garder une aura de mystère, pour le juger (exemples dans mon recueil de nouvelles Apocalypses avec Le Secret ou L'Indécision). Autrement, dans tous les autres cas, le "je" est le plus pertinent car c'est le meilleur moyen d'impliquer le lecteur et de lui donner la sensation de vivre l'histoire en tant que personnage. Mais ce n'est pas une règle absolue : en arts tous les choix sont bons à condition d'être réfléchis et assumés ! On pourrait très bien imaginer un récit à la 2ème personne, après tout, si le projet était de donner la sensation au lecteur d'examiner sa propre vie réelle, de l'interpeller, de le juger !

Pourquoi écrire au passé simple ? Pour tenir le récit coupé du présent, le garder achevé, retranché dans une époque antérieure et inaccessible afin de lui donner l'allure d'un mythe ou d'un récit de jeunesse, un vieux souvenir (voir pour l'exemple et l'humour mon conte étiologique de La Ronde des Temps). Or, beaucoup de jeunes écrivants, tout imprégnés qu'ils sont des contes de fée de leur enfance et des quelques classiques méritoires mais anciens qu'ils ont étudiés à l'école, sont incapables de même songer à sortir du carcan de ce conditionnement. Or, dans la plupart des cas, c'est le système des temps du présent qui conviendra car il plongera le lecteur dans une action en temps réel, vivante et entraînante puisque se déroulant devant ses sens ! Toutefois, pas de dogmatisme non plus ici : on peut imaginer des récits entiers à l'infinitif pour susciter la lassitude, l'appréhension ou la délectation, ou au futur pour placer de force le lecteur devant son inéluctable avenir. Tout dépend de votre approche et de votre intention.

Pourquoi résumer un récit à ses actions ? Pour accélérer un moment de l'intrigue où l'action prévaut ou sauter plus vite une période moins intéressante ou sur laquelle, en tout cas, on choisit de ne pas approfondir. Or, ce type de sommaire n'a d'intérêt que lorsqu'on a les deux pieds dans l'histoire et le personnage dans la peau. Tout ce qui est portrait, présentation de personnage et résumé d'action, lorsque ça intervient en dehors de cette adhésion du lecteur, se fait à perte car ce lâcher d'informations intervient à un moment où, puisqu'on n'est pas attaché au personnage, on se fiche de qui il est et de ce qui lui arrive. Il faut prendre le temps de nous faire vivre avec le personnage pour qu'on s'attache, qu'on s'identifie à lui et s'intéresse à ce qu'il vit. Là aussi, donc, la scène est souvent le plus approprié, même dans une nouvelle, où il faudra bien sûr cibler le moment clef (voyez certaines de mes nouvelles comme Sur la corde ou Le premier jour dans mon recueil Apocalypses). Bien évidemment, tout est toujours question de choix : mais suivant votre volonté consciente, pas suivant l'irréflexion soumise à votre conditionnement.

ATTENTION - Une partie dédiée aux outils de la narration approfondit tout cela un peu plus loin.

B. La description, la mal comprise, la mal aimée.

Beaucoup sautent les descriptions dans leurs lectures, ou bien s'abstiennent d'en écrire, ou bien encore en plaquent des blocs maladroits et indigestes n'importe où. C'est mal comprendre le rôle et le fonctionnement d'une description.

D'abord, une description peut très bien tenir en un mot qui, placé pour accompagner une action, y ajoutera l'image, ou le son, ou tout autre élément de perception qui, en facilitant l'imagination du lecteur, en nourrissant sa représentation de l'histoire, l'aidera à s'immerger et à y prendre davantage de plaisir. La description est l'amie de l'action.

Néanmoins, que dire des longs portraits de personnages ou de décors ? Qu'ils sont essentiels... aux bons endroits. Pourquoi décrire un personnage ou un lieu ? Parce qu'on le découvre... dans l'histoire ! C'est donc lors de l'arrivée face à un personnage ou un lieu qu'interviendront ces passages descriptifs, toujours avec cette plus-value pour le lecteur. Mais une bonne description ne se contente pas de nourrir l'imaginaire du lecteur, elle oriente son état d'esprit pour le rendre plus réceptif à ce qu'on veut lui faire ressentir. On centrera donc toujours une description sur les aspects qui vont dans le sens de la création d'une atmosphère, l'instillation d'une émotion, le semis d'une graine que la suite fera pousser pour que le lecteur la récolte quand le fruit sera mûr. La description ne doit jamais être neutre, objective, mais doit toujours tendre vers une subjectivité : décrire, c'est projeter l'interiorité du narrateur dans le cadre qui l'entoure (espoirs, craintes, agacements...).

On fera donc attention, comme au cinéma ou en photographie, au cadrage et à l'angle de vue, au mouvement de l'œil également, qui créent des effets de sens. Personnellement, je prends toujours plaisir à écrire ou lire des descriptions car ce sont des moments où le temps du récit se met en pause pour permettre à l'imaginaire et à l'émotion de s'exprimer et de s'écouter, entre contemplation et examen analytique, loin du tumulte épuisant de l'action. Ce sont des moments très importants dans un récit, notamment encore parce qu'ils recèlent tous les éléments de perception permettant au lecteur de se faire le film de l'histoire dans sa tête.

Sans description, il n'y a guère que l'action, série de faits dénués de sens et d'émotion.

(N. B. : vous pouvez consulter ma série de textes sur les ponts dans mon recueil Aubes et Crépuscules pour voir des variations descriptives sur un même objet)

ATTENTION - Une partie dédiée à la description approfondit tout cela un peu plus loin.

Main dans la mainOù les histoires vivent. Découvrez maintenant