Chapitre 12:

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« Cher Sasha, ici rien n'a changé. C'est triste, j'aurais presque eu besoin de tout recommencer. Encore dans un monde inconnu. »

Voilà, la vie a repris son cours... Mais je ne me souvenais pas d'une vie aussi, plate ? Plate, c'est le mot. Tout est vide, sans intérêt. Je trépigne sur ma chaise, comme d'habitude. Je fixe l'horloge, la trotteuse à encore ralenti, à croire qu'elle ne passera jamais à la minute suivante. Je ne tiendrais pas. Je dois bouger.

« -Excusez-moi monsieur, il faut que je sorte...

-Bien sûr Maya. Me réponds mon professeur de SVT, c'est un vieux monsieur rondouillet, un homme agréable, attentionné et gentil. » Personne ne me regarde étrangement, pas même ces deux grandes poufs blondes du dernier rang qui riaient de moi et Ali au début. À croire qu'ils se sont habitués à mes sorties au bout du premier quart d'heure de court. C'est mon quart temps indispensable. J'ai besoin de bouger. Dès que la porte se referme derrière moi je saute en l'air avant de traverser les couloirs à toute allure. Je cours vers le terrain de sport en sprint, et je fais des tours, encore des tours. Je me sens mieux lorsque je commence à m'essouffler. « Hyper activité post-traumatique. » C'est ce que pense le médecin. Je donne quelques coups de poings contre un tronc d'arbre, je cours de nouveau... Ici, il n'y a que 5h de sport par semaine, là-bas, j'en avais 9 dans la journée. Je pense à fuguer parfois... Je me dis qu'ils reviendront peut-être, eux tous.

Devoir contenir cette énergie glacée en moi me tue, à petit feu. Faire tomber les profs dans les couloirs, aller piquer les sujets des contrôles dans leur sac gagner en permanence à chaque jeu, tout ça... Ça ne me suffit plus ce n'est que du vent. Je ne sais pas trop comment Ali vît ça, j'ai plutôt l'impression qu'elle s'inquiète pour moi. Les filles sont là pour nous soutenir, toutes, à leur façon. Mais il me semble que rien n'est plus comme avant, parfois, j'ai l'impression qu'elles nous cachent des choses à moi et Ali, et aussi, c'est comme si elles en savent plus à notre sujet qu'elles ne le laissent paraître. Une silhouette approche. Je reconnais sans peine madame Arrial qui s'avance avec son petit air supérieur et son sourire pincé.

« -Puis-je savoir pourquoi tu n'es pas en cours Maya ?

-Euh... c'est à dire que... J'ai eu un moment de faiblesse.

-Tiens donc ! Nous avions un accord Maya ! Et je ne peux pas t'aider si tu n'assistes qu'à dix minutes de chaque cours !

-Oui madame. Je prends ce ton inférieur qui fait temps de plaisir aux professeurs, après cela, elle se sent puissante, inébranlable, c'est comme si là, elle était mon dieu, l'espace d'une seconde. Elle reprit la parole avec un air on ne peut plus hautain.

-Vous allez voir monsieur Lewis, c'est le nouvel éducateur spécialisé. Elle marque une pause avant de plonger ses yeux sans pupilles dans les miens. Je suis là Maya, pour toi et pour Ali. » Je dois me mordre la langue pour contrôler le flux glacial qui s'empare de moi.

Je la suis dans le silence, nous allons jusqu'au château, le centre de l'institution. Elle pousse la porte, rentre puis me la lâche dans la figure, je l'esquive de peu. À l'intérieur, il fait plus frais. Je redécouvre l'endroit car l'accès y a été interdit aux élèves il y a quelques semaines. Il flotte une odeur, de parquet et de bois usé, le château est étonnement silencieux, on y distingue sans peine les bruits du sol usé qui craque sous mes pieds et meurt sous les talons perforants de madame Arrial.

Nous montons un tout petit escalier en colimaçon, les marches sont très étroites et sont creusé par le frottement perpétuel des chaussures des adultes. Madame Arrial me fait signe d'attendre dans le silence sur un misérable banc brinquebalant, face à une porte somptueuse, écrite en lettre d'or, J.-Lewis, éducateur spécialisé/ conseiller d'orientation. J'entends ses chaussures qui claquent au bout du couloir puis le silence redevient pesant. Au bout d'une bonne dizaine de minutes d'attente, un petit enfant est sorti du bureau en pleurant, c'était surement un petit sixième, mais son visage me rappelait vaguement quelqu'un avec ses cheveux roux et ses dizaines de taches de rousseur. Il tient son bras comme s'il venait de se la casser, après une bagarre peut-être. Je jette un vif coup d'œil à mon atèle avant de renter. Étrangement, la salle est particulièrement sombre. Un grand monsieur est assis à un bureau sur un fauteuil de ministre.

« -Vous êtes ? Demande-t-il d'une voix grave

-Maya monsieur, terminale S, c'est madame Arrial qui m'envoie. J'avance de quelques pas, son visage apparaît, il est blond, cheveux, mi courts, avec une barbe impeccable, il doit avoir une bonne cinquantaine d'années.

-Assieds-toi. M'ordonne-t-il sévèrement, chose faite il reprend la parole, qu'à tu fais pour te retrouver ici Maya de première S ?

-Terminale monsieur, je corrige tranquillement, et je crois que je suis ici car madame Arrial s'inquiète pour moi.

-Un professeur ne s'inquiète pas. Il enseigne, me coupe-t-il aussitôt, quelles règles as-tu enfreintes ?

-Je n'ai pas enfreins de règles monsieur, c'est-

-Répond à ma question ! Il hausse soudainement le ton

-Je suis sortie de cours avec l'accord de mon professeur ! Dis-je sur le même ton. Il prend un stylo et commence à griffonner quelques notes.

Qu'est-ce que vous écrivez monsieur ? Je demande gentiment pour calmer les tensions. Il brandit le papier au-dessus de sa tête et le lit à voix haute.

-Maya, première S, menteuse, insolente, curieuse, agressive, bornée, capricieuse et agaçante.

-Je ne comprends pas. Je lance stupéfaite.

-Tu n'es pas sage, et je vais t'aider à régler tes lacunes en discipline, et le manque certain d'éducation parentale.

-Arrêtez ce n'est pas drôle monsieur. Je plisse les yeux sous le choc. Il se lève en frappant du poing sur son bureau. Je n'ai pas peur mais un flux glacial d'énergie traverse mon corps en toutes parts.

-Faisons vite ! Il est peut-être déjà trop tard. Remonte ta manche ! Paume vers le ciel. M'ordonne-t-il.

Je m'exécute en silence, pensant à un canular. Une fois ma main posée sur le bureau, il l'attache avec une ceinture sur le bois. Oui, chose étrange, cet homme possède une sorte d'entrave pour poignet sur le bout de son bureau, à l'endroit où les élèves s'assoient.

Prie le seigneur pour qu'il te pardonne tes pêchés ! Crie-t-il en se munissant de sa propre ceinture cette fois.

-Vous n'allez pas... Je commence à m'affoler.

-Prie ! Hurle-t-il encore plus fort

-Je ne crois pas en dieu monsieur. Dis-je sèchement. Là, il commence à frapper mon poignet gauche jusqu'au sang. Je le laisse faire, en silence, sans chercher à lutter, à supplier pour qu'il arrête car je ne peux pas lui faire cette joie. J'essaye seulement de contenir le fluide glacial qui ne demande qu'à s'échapper de moi. Cette énergie qui pourrait tuer ce monsieur Lewis et qui m'enverrait dans une prison secrète ou plus personne n'entendrait plus jamais parler de moi.

-C'est terminé pour aujourd'hui Maya, tu as été très courageuse, nous nous reverrons demain à la même heure. »

Je quitte le bureau sans m'attarder, choquée par les agissements de l'homme, et encore plus effrayée de voir la jeune fille à l'extérieur de la pièce qui attend sur le banc, en pleures. Je ne laisserai pas faire quelque chose comme ça. Je redescends ma manche, et m'empresse d'aller retrouver mes amies.

MAYAOù les histoires vivent. Découvrez maintenant