Richard Mardon pose négligemment le magazine sur la table devant lui, et soupire.
Ce seul souffle venant du Big Boss de Write&Cie me fait frissonner. Assise en face de lui, j'ai la légère sensation de retrouver mon adolescence boutonneuse, dans le bureau du proviseur,attendant la sentence résultant de mes heures d'école buissonnière.Recroquevillée sur moi-même, la tête dans les épaules et le cœur dans les savates.
- Sofia ?
Je lève les yeux vers celui qui m'a fait confiance. Celui qui m'a tirée de ma petite vie monotone de jeune salariée parisienne. Celui qui a cru en moi juste en lisant quelques-unes de mes lignes et qui a fait de ma passion, mon métier.
- Marc VanBrussels s'en prend à vous dans un but très simple : discréditer notre Maison. A travers vous, c'est Write&Cie qu'il vise.
Je hoche la tête. Je sens le regard de Léonard glisser sur moi.
Parlons-en de celui-là.
J'ai envie de crier qu'il doit être satisfait. La banale et transparente Sofia vient de se faire lyncher en bonne et due forme.Richard devrait sérieusement revoir son équipe du service "Sofia: comment gérer la crise".
- Marc VanBrussels est quand même le critique littéraire le plus connu de la capitale...
Al. En traditionnelle anxieuse, son pessimisme est à son maximum. Je la vois triturer ses grandes mains et sous la peau laiteuse de son cou je peux voir pulser ses veines bleutées.
- En effet, Marc est LE critique et journaliste littéraire le plus renommé auprès de l'ensemble de notre lectorat.
Voilà qui est rassurant.
Un doigt posé sur sa tempe grisonnante, Richard reprend :
- Mais je ne m'en fais pas. Sous ses lignes infâmes, Sofia a dû lui taper dans l'œil pour qu'il s'y intéresse d'aussi prés. Il ne faut pas lui donner ce qu'il souhaite. Sofia ? Votre second roman est en cours n'est-ce pas ?
Euh...J'enjolive ? Non, OK j'en rajoute.
- Oui, j'ai quelques chapitres en cours. Il y a encore pas mal de choses à peaufiner, mais l'inspiration est bien là. J'y travaille ardemment...
Hum... Quoi ? Comment expliquer au boss qu'en ce moment mon esprit est plus préoccuper par Jonas et son QI de calamar ou de l'entretien permanent de mes kilos abdominaux ?
Il faut que je me reprenne. A ce moment même, entourée des personnes qui vouent une totale confiance en ma plume, j'ail'impression d'être la traîtresse du siècle.
L'inspiration ? Les nuits blanches ? Les idées bouillonnantes qui font palpiter le cœur et qui vous donnent des fourmis dans les doigts ? Pour tout vous avouer, ça fait belle lurette que tout ça ne m'est plus arrivé. J'ai été emportée par mon premier succès comme si j'étais montée à bord de la Fusée Ariane. Je n'ai rien vu venir.
Mon premier roman, Innocence, a vu le jour à une période creuse de ma vie.
Je n'appréciais que très moyennement mon boulot, ma vie sentimentale vivotait, mes ambitions stagnaient...en résumé la vie moyenne d'une jeune femme moyenne. Innocence à tout fait voler en éclats. L'histoire de cette femme innocente et naïve, qui voit un beau matin une nouvelle vie se profiler. C'est moi.
Alors, en prenant exemple sur mon héroïne adorée, je lève le nez et avec fougue, je prends la parole :
- Richard, je suis navrée de cette mauvaise pub. Ces photos, plus que personnelles ne me définissent pas. Marc VanBrussels a voulu démontrer que ma plume et les sentiments que j'ai mis dans mon roman sont superficiels. Ça me blesse parce que j'y ai mis non seulement mes tripes, mais tout mon amour. S'il est le critique littéraire le plus reconnu de la capitale, sa méchanceté gratuite et ses moqueries de bas étage en font aussi un triste et sombre idiot.Alors, je ne vais pas laisser ce type me démonter et encore moins bafouer la passion de toute une vie. Je rendrais mon second roman aussi vite que vous le désirez. Votre délai sera le mien.
Wahouh ! Sofia est dans la place !
Le cul sur ma chaise en plastique translucide, je suis fière comme un paon.
D'un simple coup d'œil circulaire, je jauge les réactions. Al me dévisage comme un spécimen inconnu, Richard acquiesce lentement de la tête et Léo gribouille quelques notes sur un calepin.
- Très bien Sofia, m'en voilà ravi. Je vous laisse deux mois pour me rendre un premier jet.
DEUX MOIS !? J'écarquille les yeux et ravale précipitamment le mot vulgaire qui ne demande qu'à sortir de ma bouche. Je reste immobile.Richard se lève et donne ses instructions.
- Alice, je vous veux exclusivement sur Sofia. Sa promo, sa tournée,son roman. Léonard, j'ai fait appel aux services de votre société pour que vous me pondiez un article relatant l'évolution et l'histoire de nos best-sellers. Vous faites comme bon vous semble,mais sortez-moi un article du tonnerre sur Sofia. Je veux tout. De ses débuts jusqu'à aujourd'hui. La tournée littéraire et les séances de dédicaces ne pourront vous être que très utiles.Sofia, merci de collaborer au mieux.
J'ai l'impression de participer à une réunion secrète de la NASA.Et bien sûr j'en suis la principale protagoniste. C'est super excitant !
Richard sort du bureau en nous saluant. Et sans vous mentir, je souffle. Ma carrière n'est pas foutue, Richard croit encore en son jeune poulain.
D'un geste nerveux, Al rassemble les quelques feuilles et magazines qui jonchent la table.
- La prochaine séance de dédicaces se déroule mercredi Sofia. Je te veux au maximum. Léo, dresse-moi une petite liste de ce que tu as déjà pu écrire concernant la carrière de Sofia. Nous nous réunirons en fin de semaine pour voir ce que ça donne. Vous avez entendu Richard ? On prend le contre-pied.
M'ignorant, Léo répond, en se levant à son tour :
- Ma liste est déjà bien avancée Al. On fait le point quand tu veux.
Quel connard ce type !
Énervée, je lui balance :
- Banale. Transparente. Inintéressante. Si c'est comme ça que tu comptes prendre le contre-pied, s'il te plaît tire-toi tout de suite!
Je bouillonne intérieurement. Et dire que je vais devoir compter sur son putain d'article pour faire remonter ma côte de popularité et pour me sortir de ce merdier médiatique. Merci Marc VanMachin !
Al soupire. Je sens son agacement monter et préfère prendre congé.J'en ai eu assez pour la matinée.
********
10h45.
Je prends exceptionnellement l'ascenseur pour descendre les trois étages qui me séparent du rez-de-chaussée de chez Write&Cie.Bien sûr, Léo me suit tout sourire.
Rrr...je vous jure que si j'étais un mec, je lui referais la face à celui-là. J'avoue qu'il est sexy en diable, chemise remontée aux coudes, je vois la naissance d'un tatouage sur son avant-bras musclé.Mais son mépris m'horripile bien plus que son sex-appeal.
Les portes se referment doucement et telle une gamine énervée, je boude. Je sens son sourire suffisant dans mon dos.
Clac, clac. Soudain, la cabine s'arrête en cahotant.
Surprise, je regarde ces fichus boutons électroniques. Merde !
Sans savoir ni comment ni pourquoi, je me retrouve projetée contre la paroi vitrée.
Le cliché de l'ascenseur, vous connaissez ?
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