Nous qui pensions être arrivés au bout de nos peine, nous voilà à traverser un désert interminable. Un désert. A des milliers de mètres d'altitude. Quoi de plus logique. Après tant de kilomètres parcourus dans ce qui est, pour sûr, la pire forêt du monde, il fallait qu'on tombe sur du sable. Nous avons bu nos dernières gouttes d'eau hier, nous n'avons plus de nourriture depuis trois jours, c'est à peine si nous tenons encore debout. Heureusement qu'il ne fait pas aussi chaud que dans un vrai désert. Il fait même plutôt bon, une température digne d'un mois de mai, agrémentée d'une légère brise régulière ; le contraire nous aurait dissuadé de nous aventurer dans ces vastes étendues de sable. Mais maintenant, il est trop tard pour rebrousser chemin : nous puisons dans nos dernières ressources avec le peu d'espoir qu'il nous reste pour venir à bout de ces terres désolées. Je crois me souvenir qu'il faut trois jours sans eau pour mourir de soif ; sachant que mon corps est en constante activité, ce délai est sans doute plus court. Et plus j'approcherai de cette deadline, moins je pourrai continuer mes efforts. Pour l'instant, tout va plutôt bien, même si la faim commence à torturer mon ventre. Je prends tout de même énormément sur moi-même pour me concentrer sur ma progression plutôt que sur les cris de détresse de mon organisme. Mais au fond de moi, je sais que j'ai jeté les dés sur mon destin, et qu'en cas de défaite, l'aventure prendra fin ici.
Peut-être que le karma est en train de punir le peu de solidarité dont j'ai fait preuve quelques semaines auparavant ? Après tout, j'ai laissé derrière moi deux de mes camarades... Ou plutôt un seul, l'autre était clairement mort. Nobouh, pourquoi es-tu restée au chevet d'Eclairvert, alors que tout indiquait qu'il nous avait quitté ? Ce n'était peut-être pas une mort banale, cette étrange sphère verte qui lui est rentrée dans la poitrine, mais avec tout ce qui nous arrive, je me demande comment tu peux encore t'étonner de ce genre de bizarreries. Es-tu toujours là-bas, à veiller sur lui ? Ou bien t'es-tu faite une raison, et es repartie ? T'en sors-tu, seule dans cette forêt noire ? Et, nous en veux-tu d'être parti, à Steak et à moi ? En tout cas, sache que je suis désolé, et que je prie pour que tout aille bien de ton côté.
« Alors, Synthé', tu y crois toujours ? Me demande Steak en essuyant ses lèvres asséchées.
-C'est pas que j'y crois ou pas, je me suis fait à l'idée que j'allais sûrement mourir dans les heures ou jours qui viennent, donc...
-Pareil pour moi. Ça fait bien trois mois qu'on marche sans rien trouver, ça fait bien longtemps que j'espère plus.
-Eh, on aura fait une bonne balade, au moins.
-Ouais. Même si c'était glauque, on aura quand même passé de bons moments.
-Je crois que tu viens de prononcer en trois phrases autant de mots que tu n'en as prononcés ces derniers mois, haha !
-Je profite comme je peux de mes derniers instants, tu m'en excuseras.
-Te fâche pas, je te charrie.
-Si ça peut te faire oublier la marche...
-J'étais en train d'y repenser, tu crois que Nobouh va bien ?
-Sûrement mieux qu'Eclairvert. Elle se débrouille bien au combat, les chauve-zombies ne sont pas un problème pour elle. Par contre, si elle tombe sur un groupe d'humains...
-Là, elle aurait environ une chance sur deux de s'en sortir... Croyons en elle ! Je sais pas qui est le plus à plaindre, entre elle et nous.
-Je dirais nous, juste parce que je suis égoïste.
-On l'est tous les deux, on les a lâchement abandonnés.
-Tu vois ce que je vois, ou je suis en train de perdre la boule ?
-De quoi ?
Je lève alors la tête, et m'arrête soudain, stupéfait par l'imposante silhouette qui se dessine à l'horizon.
-Si tu me dis que tu vois une ville avec des tours, je chiale.
-Je vois une ville avec des tours. Me répond Steak, la voix enrouée.
-Voilà, je chiale. Mais... Mais... Genre sérieusement ? Non... Je peux pas le croire... C'est vraiment une ville ?
-J'ai... J'ai du mal à y croire aussi...
-Putain, ça fait bizarre de te voir pleurer, Steak.
-Tais-toi... Mes nerfs viennent de lâcher...
-Comme je te comprends ! Je peux pas non plus retenir mes larmes ! Allez mon pote, on finit cette aventure ?
-Et si c'était un mirage ?
-On le saura que si on s'y rend ! EN AVANT !!! »Arrivés à notre destination, nous hurlons de joie en constatant que la ville est bien réelle. Des immeubles la bordent en formant un cercle parfait qui s'étend visiblement sur plusieurs kilomètres. L'architecture des constructions n'est pas très recherchée, sans parler du gris qui domine les façades, qui me rappellent les cités que l'on peut trouver en banlieue parisienne. J'aimerais d'ailleurs savoir où se situe cette ville, et j'espère que ses habitants parlent ma langue ; au pire, je peux me débrouiller avec l'anglais... Ou avec des dessins, si vraiment je ne trouve pas d'anglophone. Ces bâtiments sont séparés par de larges routes pavées (grises, elles aussi) permettant aux visiteurs de pénétrer dans la métropole.
Nous passons les murailles d'immeubles pour faire nos premiers pas en zone urbaine, et nous réjouissons de découvrir, au beau milieu d'une place circulaire, une fontaine. Je me jette dessus sans hésiter, sans me demander si l'eau est potable, et avale de grandes gorgées tout en exprimant mon bonheur par de petits gémissements ; voilà qui me fera tenir quelques temps, en attendant de retrouver du confort. Steak, lui, s'est carrément jeté dedans, ne se souciant à aucun moment de l'humidité de ses vêtements. J'aimerais le rejoindre, mais ressent soudain un sentiment désagréable. L'eau ? Non, ce n'est pas mon ventre qui s'agite, c'est mon rythme cardiaque. J'observe tout autour de moi : c'est étrangement calme, pour un patelin aussi grand. Je n'entends rien, pas même un moteur au loin. Je ne vois personne. Si, ça y est, j'entends comme des vibrations. Des pas, ce sont des pas, des pas lourds. Ça vient d'en face, derrière un des immeubles. Et ça se rapproche. Ah, voilà la silhouette. Et sa... Massue. Pu. Tain. De. Merde.
S'engage une course poursuite au travers de la ville. Cette horreur court vite, beaucoup trop pour que nous puissions la semer. Merde, merde, je veux pas savoir à quel point un coup de massue fait mal. Bordel, les chauves-souris chelou, on commençait à s'y faire, mais là c'est carrément un autre niveau !! Et en voilà un autre, arrivant face à nous... Un seul ne suffisait pas ?! Steak me tape sur l'épaule et désigne une allée à notre droite, nous permettant d'éviter de foncer vers le deuxième monstre. Nous tournons. L'allée est étroite, mais pas assez pour bloquer nos agresseurs. Ok, on atteint le bout dans trente secondes, c'est le moment de réfléchir à un plan.
« Steak, on fait quoi ? On se sépare chacun d'un côté, ou on reste ensemble ??
-On devrait en prendre un chacun, ce serait déjà moins compliqué !! Mais on ne connaît pas la ville et on devra se retrouver après, ça risque d'être encore plus dangereux !!
-J'ai envie de dire, on a survécu au désert ensemble, alors quitte à quand même crever, autant qu'on meurt ensemble !!
-Va pour cette idée de merde !! »Nous sortons de l'allée, et Steak m'attrape soudain pour me tirer à l'intérieur d'un immeuble dont la porte est ouverte, à l'abri du champ de vision des deux créatures. Nous nous cachons derrière les murs de l'entrée et patientons, tout en espérant ne pas avoir été grillés. D'après les sons qu'ils émettent, ces deux espèces de troll ne savent pas par où aller. Finalement, ils s'éloignent dans des directions différentes. Soulagé, je souffle un grand coup et me laisse tomber sur les fesses, m'asseyant alors sur la surface la plus confortable que j'ai pu rencontrer ces derniers mois : une moquette toute propre, s'étendant sur tout le sol du couloir dans lequel nous avons atterri. Steak, lui, préfère visiblement rester debout, et ouvre timidement une des deux portes qui s'offrent à nous, en plus de la sortie.
« Qu'est-ce que tu fais ? Lui demandé-je.
-Chut, je vérifie qu'on est seuls. J'ai pas envie de retaper un sprint tout de suite. »Il finit par ouvrir la porte en grand, hésite à entrer, et disparaît de mon champ de vision. Sa main réapparaît brièvement pour me dire de le suivre, la salle semble sûre. En entrant à mon tour, je constate que la pièce est vide, comme si nous étions en train de visiter un appartement.
Plusieurs minutes et étages plus tard, nous nous rendons à l'évidence : chaque salle de cet immeuble est vide. Et aucune autre sortie que celle que nous avons emprunté pour entrer ici. Sommes-nous tombés sur le seul immeuble vide ? Ou est-ce que, et cette idée me glace le sang, toute cette ville est complètement VIDE ? Nous sortons dépités, après avoir vérifié qu'aucun troll ne soit à proximité, et nous dirigeons dans le sens contraire des infimes bruits que nous percevons. De la bouffe, il nous faut de la bouffe ; la peur nous a permis de nous enfuir, mais dès lors que nous nous habituerons à croiser la route de ces monstres, nous n'en bénéficierons plus.
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Immersion
Paranormal"Si nous devons piller ou tuer pour progresser, nous le ferons sans hésiter. La morale, l'éthique, le politiquement correct, toutes ces conneries qui régissent notre société ne s'appliquent pas ici. Nous en sommes réduits à nos bas instincts, et...