Je déambule dans une avenue fortement éclairée. Mes yeux me piquent, presque aveuglés par toute cette lumière. Ah, non : la lumière me suit, comme un projecteur. Je distingue une multitude de silhouettes autour de moi. Leurs yeux brillent dans l'ombre, tous rivés sur mon corps... nu. Je suis nu. Non, non, ne me regardez pas, pas ainsi. Ne me suivez pas du regard, arrêtez. Je n'ai pas le contrôle de mes bras, je ne peux cacher mon intimité. Que... Ma peau... Que sont ces tatouages ? "Honte" ? "Arrêtez" ? Mes pensées s'inscrivent sur ma peau... Je ne suis pas seulement nu, mon être entier est mis à nu à mon insu. Mon public rit. Ils se moquent de moi. "Ils se moquent" apparaît sur ma cuisse gauche. Arrêtez ça. Donnez-moi des vêtements. Laissez-moi au moins crier, vous insulter, redonnez-moi l'usage de la parole. Laissez-moi fuir, je veux courir, partir loin de cette avenue. Ouf, je reprends le contrôle de mes jambes. Je cours, mes bras toujours le long du corps, inertes. Les gens se poussent de mon chemin, me laissent avancer tout en continuant de me fixer et de rire. L'avenue est sans fin, je cours, cours sans jamais me fatiguer et sans en voir le bout. Ma peau se noircit d'encre au fur et à mesure que ma panique croît. Les moqueries se font de plus en plus bruyantes. M'isoler, je veux juste m'isoler. Me recroqueviller dans un coin à l'abri des regards, n'entendre plus que mes pensées. M... Maman ? Papa ? Ils sont là, devant moi, me barrent la route avec leur regard accusateur. Voilà ma grande sœur. Elle a le même regard.
Une étiquette vient claquer contre mon front. Je retrouve l'usage de mes bras, en profite pour prendre le papier : "Décevant". Hein ? Seconde claque, seconde étiquette, sur ma joue : "Pathétique". Les claques se multiplient, recouvrent chaque partie de mon corps, cachant ainsi mes pensées gravées sur ma peau. Mes yeux, eux, restent découverts et grands ouverts, m'obligeant à supporter ces regards insistants. D'autres mots flottent dans les airs, au-dessus de la foule ; ou plutôt des phrases, défilant comme sur un panneau, racontant des anecdotes que je ne connais que trop bien : j'y lis mes pêchés. La face sombre de mon être est affichée à la vue de tous, détaillant chaque facette, chaque parcelle de ce que je suis vraiment, les abysses de mon Moi. Je comprends maintenant les étiquettes. Elles représentent le jugement de toutes les personnes m'entourant, jugement basé sur ce qu'ils découvrent de moi. J'assiste impuissant au procès de mon âme.
On m'attrape, on me bat. Frappé, piétiné, mordu, griffé, brûlé, je ne sais pas contre quelle douleur lutter. Puis on traîne ma dépouille par les cheveux, sur des centaines de mètres. On me relève enfin. Une sorte de poutre vient caresser mon dos. Des clous transpercent mes mains et mes pieds. Crucifié, on redresse ma croix : mon corps meurtri surplombe cette foule accusatrice qui continue de me fixer. Et là, le silence. Le plus profond des silences. Je commence à entendre les battements de mon cœur. Ils font vibrer mes tympans. C'est insupportable. Arrêtez. ARRÊTEZ. ARRÊTEZ ! La folie s'installe au fil des secondes. Je ne peux plus fixer mes pensées. J'aimerais que mon cœur s'arrête, je ne souhaite plus que la mort. Je suis sur la banquette arrière d'une voiture, j'observe par la fenêtre les arbres sur la - mer, ma sœur trouve un crabe dans une flaque d'-histoire, je n'ai pas rendu mon devoir maison, la prof me frappe - décevant - honte - pathétique - arrêtez - nu - danger - forêt - Nobouh - Eclairvert - Eclairvert - Eclairvert - Eclai-
"Eclairvert !"
Nobouh. C'est le visage de Nobouh. Elle a l'air inquiète. Pourquoi m'appelle-t-elle ? Je suis là, que veut-elle de plus ?
"Eclairvert, c'est moi, Nobouh ! Si tu m'entends, dis quelque chose, n'importe quoi !
-No...bouh... Marmonné-je, la bouche pâteuse et endormie.
-Oh mon dieu, tu es revenu à toi, tu es vivant ! Crie-t-elle trop près de mes oreilles.
-Vi...vant ?
-Oui, vivant ! Je suis si heureuse... Nobouh fond en larmes. Tu... *snif* tu peux te lever ? A-attend, je vais t'aider, ton corps doit être engourdi..."Ma partenaire commence à manipuler mes doigts de pied, mais je suis encore trop sonné pour y mettre du mien. Seuls mes deux globes oculaires réagissent comme je le souhaite, et me permettent donc de découvrir la cabane en bois dans laquelle je reprends mes esprits. A ma gauche, une assiette et un bol rempli d'eau, tous deux en bois. A ma droite, deux grands sacs que je reconnais. Et en face de moi, une Nobouh paniquée, affairée à ma rééducation.
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Immersion
Paranormal"Si nous devons piller ou tuer pour progresser, nous le ferons sans hésiter. La morale, l'éthique, le politiquement correct, toutes ces conneries qui régissent notre société ne s'appliquent pas ici. Nous en sommes réduits à nos bas instincts, et...