Chapitre 2 - Imperial

40 2 0
                                    


« Bon, c'est pas que je t'aime pas Rondine, mais j'ai eu ma dose de contact humain pour la nuit...
-Fais pas ta timide, reviens ! Héhé.
-Lève-toi au lieu de faire le con ! »

Je sors de ma couverture de survie, enfile rapidement mes vêtements et met un coup de pied à mon ami pour qu'il se bouge : il vaut mieux marcher un maximum en journée, il est trop dangereux d'avancer de nuit. La température s'est adoucie depuis hier, le blizzard s'est arrêté et la visibilité est excellente, la journée va être bien plus agréable que la précédente. Je sors de la grotte dans laquelle nous avons dormi sans oublier de la remercier ; sans elle, je doute que nous aurions survécu à la météo. Je me fige soudain, ébahi par ce qui se dresse devant moi : un gigantesque plateau, beaucoup plus haut et large que la montagne sur laquelle nous nous tenons, surplombe les pics enneigés qui m'entourent. Etonnemment, il ne semble pas y avoir de neige au-dessus, bien que je ne puisse apercevoir sa surface ; si c'est le cas, alors nous devons nous y diriger : nos provisions ne seront pas éternelles, et la nourriture n'est pas légion à cette altitude. Rondine adhère à cette idée, et une fois les affaires rangées dans nos sacs, nous reprenons notre périple en direction de notre nouvel objectif.

Progresser de montagne en montagne n'est pas chose aisée : nos pas alternent entre la roche et la neige. La neige est épuisante, car sa profondeur est aléatoire ; nous nous enfonçons parfois jusqu'aux genoux dans cette poudre blanche, et chaque enjambée demande un effort considérable. La roche, elle, est bien plus simple à parcourir ; cependant, nous rencontrons assez souvent des graviers sous nos chaussures, qui manquent de nous faire chuter, quand ce n'est pas un sol complètement lisse qui nous fait inévitablement glisser si nous manquons de prudence. Sans compter les successions de montées et descentes sur notre parcours... Bref, impossible de maintenir un rythme de marche constant, des pauses sont donc nécessaires toutes les deux heures pour reprendre notre souffle. Je ne pensais pas que cela serait aussi épuisant, surtout sans équipement adéquat. Heureusement qu'on nous a fourni une combinaison, des moufles, bottes, bonnet et lunettes. Nous avons aussi des armes : je comprends que le couteau puisse nous être utile, mais je ne vois pas tellement l'utilité du flingue. C'est peut-être notre dernier recours si nous abandonnons toute envie de continuer ? Concernant la nourriture, nous avons au menu des barres chocolatées, des sacs de cacahuètes et noix de cajou, des fruits secs, et du café tenu au chaud dans des bouteilles isothermes, qui est d'ailleurs toujours chaud même après trois jours. Ah, et de l'eau. Des foutues bouteilles d'eau qui alourdissent nos sacs, rendant la randonnée encore plus pénible. Mais bon, c'est de l'eau, et contrairement au café, ça se perd beaucoup moins vite. De ce fait, nous avons commencé par le café, que nous devrions terminer aujourd'hui ; ensuite, nous nous abreuverons qu'exclusivement d'eau, et si nous vidons nos bouteilles, nous ferons fondre de la neige, même si je ne suis pas vraiment sûr de ce coup. D'après Rondine, l'idéal aurait été de baisser en altitude pour se ravitailler au niveau des rivières issues des fontes des glaciers, mais cette chaîne de montagnes ne nous en offre jamais l'occasion. Peut-être dans quelques dizaines de kilomètres, qui sait... Dans l'immédiat, nous sommes coincés dans le froid, et la route est encore très longue avant notre objectif ; je crains que nous manquions de rations trop tôt, même si les sachets sont bien remplis. Nous nous limitons pour l'instant à une poignée de cacahuètes par pause, ce qui nous fournit le minimum d'énergie requis pour tenir jusqu'à l'arrêt suivant.

« Toujours aucun souvenir ? Me demande Rondine alors que nous venons de nous asseoir pour notre première pause.
-Non, aucun. J'y réfléchis, mais c'est le trou noir dans ma tête. Enfin, c'est comme si mon cerveau évitait d'y penser. Et toi ?
-J'ai exactement la même sensation ! Bon bah tant pis, ça nous reviendra sûrement un jour. En attendant, ça nous fait une bonne aventure !
-Si c'est comme ça que tu relativises...
-C'est surtout que j'y comprends rien, comment on peut se retrouver ensemble alors qu'on ne s'est jamais rencontrés dans la réalité ? Tu habites à Bruxelles et moi vers Paris, notre seul lien c'est Contre-Attaque.
-Ça fait d'ailleurs un moment que tu as disparu de la CZE...
-Oui mais souviens-toi, j'ai quitté la team pour me "concentrer" sur mes études, j'avais un diplôme à passer ! Tu me diras, j'ai pas eu de mention malgré tout.
-Tu aurais très bien pu revenir ensuite.
-Haha, je savais qu'on me ferait un procès un jour !
-Moi, Imperial, te condamne à... marcher des jours entiers dans les montagnes !
-C'est con, tu t'es embarqué dans ta propre sentence...
-Bon, de toute façon t'as pas l'air de vouloir en parler, je vais pas insister.
-Peut-être un jour plus propice à ce genre de discussion ! En tout cas, je me rends compte que je ne te connais pas tant que ça, malgré toutes ces années de jeu ensemble. On avait notre complicité pendant nos parties, tu étais mon élève à l'époque de la EZE, mais je ne sais pas grand-chose de ta vie.
-Compte pas sur moi pour m'ouvrir alors que tu veux même pas expliquer pourquoi t'es parti de la team !
-Quel rancunier celui-là... »

Rancunier ? Rondine, tu as quitté la famille que tu avais créé, sans explications. L'excuse des études marche un temps, ça ne justifie néanmoins pas que tu aies disparu pendant trois ans. D'accord, tu as ta vie, tu as grandi... Mais après tous les bons moments que nous avons partagé, tu n'avais pas le droit de nous quitter sans dire un mot. Tu n'imagines pas la déception que j'ai ressenti, la colère que tu as entretenu par ton silence. Et maintenant que tu es face à moi, je n'ai pas le courage de te mettre davantage face à tes torts ; tu ne m'en laisseras d'ailleurs pas l'occasion, car tu fuieras le conflit comme tu viens de le faire, prétextant que ce n'est pas le moment. Nous aurons cette conversation, sois-en sûr, laisse-moi juste le temps de rassembler mon courage pour te balancer mes quatre vérités. Et ensuite ? Eh bien, nous continuerons tout de même notre périple ensemble, et qu'importe ta réaction, on en aura terminé avec les non-dits.

Le beau temps a l'air de tenir la journée : cela fait plusieurs heures que nous avons quitté la grotte, et nous n'apercevons toujours aucun nuage. Rondine marche devant moi en chantonnant, rien ne semble l'inquiéter. Ou bien est-ce sa façon de combattre son inquiétude ? Il s'arrête soudain, et se baisse pour ramasser quelque chose au milieu de la neige. Il ne tarde pas à me montrer sa trouvaille, animé d'une inexplicable joie : l'objet ressemble à une sphère transparente, aux reflets bleutés, pas plus grande qu'une balle de tennis. A peine avons-nous le temps de nous la lancer pour nous amuser, que l'effroi s'empart de nous : à quelques mètres d'ici, une imposante silhouette est en train d'approcher, visiblement armée d'une massue, ou du moins quelque chose dans le style. Je hurle à l'ancien leader de la CZE de courir, mais celui-ci me répond par un cri de douleur à m'en glacer le sang. En me retournant vers lui, je le découvre à genoux, se serrant la partie droite de son torse tout en affichant un visage déformé par l'intense douleur qu'il subit. A l'intérieur de ses mains, une lueur bleue scintille. La sphère est en train de pénétrer sa poitrine. Il ne m'en faut pas plus pour réagir : je tente de la lui retirer, mais fait un bond de deux mètres en arrière avant de m'étaler dans la neige. Qu'est-ce que c'était ? Je me suis fait repousser sans que Rondine n'ait effectué le moindre mouvement. Et qu'est-ce que c'est que ce truc ?! La silhouette armée ressemble à un troll d'approximativement trois mètres, tenant bien une massue dans sa main droite. Mais trève d'observations, cette dite massue est maintenant au-dessus de mon ami agonisant, prête à s'abattre sur lui. Mes jambes réagissent plus vite que je ne réfléchis, et me voilà l'instant d'après à quatre pattes au-dessus de Rondine. L'arme frappe mon dos. Je sens mes os voler en éclats. Ma respiration est coupée sur le coup. Je me laisse tomber sur le côté, la douleur est trop intense pour m'autoriser le moindre mouvement de plus. Les yeux rivés vers le ciel, je fixe l'horrible visage du monstre avec tout le désespoir qu'il apporte, et m'abandonne au funeste destin qu'il me réserve. Cependant, mon ami voit les choses autrement : ses cris de douleur n'ont pas cessé, mais il affronte désormais le mal qui le ronge pour me sauver, et le voilà debout, m'attrapant la jambe qu'il se met à tirer pour me traîner hors de là. Que fais-tu ? C'est foutu, je suis en train de te retarder, profite de tes dernières ressources pour t'enfuir ! Pourquoi risquerais-tu ta vie pour une personne que tu as déjà abandonné une fois ? N'essaie pas de te racheter, ça ne sert à rien si tu meurs ! Tu veux alléger ta conscience avant de crever, c'est ça ? Putain, je te hais, Rondine !!! Merde, je sens que je perds connaissance... Tiens, le troll ne nous suit plus ? Je dois avoir des hallu'... Rondine, je te hais, je... te... hais...

ImmersionOù les histoires vivent. Découvrez maintenant