L'hélicoptère se pose doucement tandis que je me lève de mon siège. La porte s'ouvre, laissant passer la lumière du jour qui m'éblouit. Au milieu de tous ces hommes, je tente de me faire petite, reste silencieuse en attendant mon tour pour prendre un sac à dos. Une fois équipée, je fais mes premiers pas au dehors, me met à l'écart pour découvrir mon matériel : nourriture, eau, couverture, mais aussi un poignard, un pistolet et cinq chargeurs. Visiblement, les galères sont devant nous, et je ne sais toujours pas ce que l'on attend de moi ; dans l'immédiat, je suppose que la forêt qui se dresse à quelques mètres de notre groupe est notre prochaine destination, bien que sa densité ne me dise rien qui vaille. Il me faudra sans doute de la visibilité : j'attrape mon couteau, coupe un des élastiques de mon sac, improvise un chouchou pour attacher mes cheveux, puis range l'arme dans la poche arrière de mon jean. Je sors ensuite le pistolet, vise au loin en fermant mon œil droit, me rend compte que je tremble. Un adolescent pose alors sa main sur le canon, l'abaisse gentiment tout en m'affichant un sourire crispé sensé me rassurer. Après m'avoir conseillé de me mettre en route afin de rattraper le reste de notre groupe déjà parti, il m'amène auprès de deux autres jeunes hommes, la vingtaine passée l'un comme l'autre. Le premier, brun aux yeux verts, affiche un visage renfrogné bien que juvénile, et se présente brièvement sous le nom d'Eclairvert avant d'entamer sa marche, sans plus attendre. Le second, le teint quelque peu pâle sous ses cheveux aussi noirs que ses yeux, marmonne un « Steak, enchanté. » furtif avant d'emboîter le pas de son camarade. Enfin, mon guide, plus loquace, dit s'appeler Synthétique, m'explique qu'il connaît Eclairvert grâce à Contre-Attaque, jeu vidéo de tir auquel je joue également, qu'il ne sait pas non plus comment il est arrivé ici, et qu'il fera de son mieux pour que notre groupe s'en sorte. Tandis que nous commençons à marcher, il poursuit son monologue pendant un long moment, me faisant petit à petit regretter la taciturnité de mes deux autres compagnons.
Nous plongeons bien vite dans la pénombre de la forêt, quittant ainsi l'héliport et perdant de vue la mer à laquelle nous faisions dos à notre atterrissage. Les arbres nous masquent le groupe qui nous précède, mais nous continuons de les suivre grâce au bruit de leurs pas et de leur matériel. Pour le moment, rien ne nous semble hostile, seuls les craquements de bois et le vent agitant les feuillages nous maintiennent dans l'anxiété, malgré que ce sentiment s'estompe au fur et à mesure de notre progression. Dois-je rester sur mes gardes ? Nous n'avons sûrement pas été aussi équipés pour une simple randonnée. Aurions-nous de la chance, et est-ce que cette chance va continuer de nous protéger ? Ou bien dirigeons-nous tout droit vers le danger ? Je ne peux m'empêcher de serrer un peu trop fort mon pistolet, mon doigt frotte la gâchette sans que je puisse le contrôler. Je me sentirais un peu plus rassurée si nous rejoignions l'autre groupe devant nous, mais mes nouveaux amis semblent économiser leurs forces, chose compréhensible quand on voit le poids de nos sacs... Et ce silence insupportable, pourquoi Synthétique ne parle-t-il plus ? Pourquoi Eclairvert tourne-t-il sa tête à droite et à gauche en permanence ? Et si, en fait, leur plan était de rester en retrait, pour laisser au premier groupe le soin de découvrir ce qui pourrait nous attendre sur notre chemin ? Je perds de plus en plus mon sang-froid, je dois me reprendre si je veux garder de l'énergie.
La forêt s'épaissit, la lumière se raréfie. J'ai retrouvé un certain calme, bien que l'ambiance n'ait toujours pas changée. Trois à quatre heures ont dû s'écouler depuis notre départ, pas de pause tant que le premier groupe n'en fait pas. Je soupire, lasse de cette situation et pressée de rentrer. J'espère que ma famille et Prechan ne sont pas trop inquiets... Je ne sais d'ailleurs toujours pas comment j'ai pu arriver ici. Voyons voir, qu'est-ce que je faisais juste avant de me retrouver dans un canyon paumé, à courir comme une dératée sans savoir pourquoi ? J'étais dans ma chambre, seule devant mon ordinateur... J'avais mis de la musique... Ah oui, je faisais de la retouche photo. Ensuite... Ensuite... Ensuite c'est le vide total. Bon, ça me reviendra peut-être, place aux hypothèses. Je suis... Dans une battle royale. Ça se tient : on est armés, au milieu de nulle part. Le dernier en vie gagne. Dans ce cas, je dois commencer par tuer ces trois-là... Non, ça fait bien quatre heures qu'on marche sans rien découvrir, la forêt est bien trop grande et nos ressources beaucoup trop limitées. De plus, nous ne serions pas partis du même endroit, nous aurions été dispersés... Enfin, c'est ce que je pense... Bref. Deuxième hypothèse, je suis... Dans un rêve. C'est quasi-impossible, j'ai dû me pincer une bonne dizaine de fois. Ou alors, c'est vraiment un gros rêve... Troisième hypothèse : on m'a fait un lavage de cerveau, et on m'a envoyé ici pour une sorte de show télévisé !... Tu regardes beaucoup trop de séries ma pauvre Nobouh... Attend, je viens vraiment de m'appeler par mon pseudonyme ? Mais d'ailleurs, Synthétique, Steak, Eclairvert, ils ont tous des noms bizarres !
« Dites les gars, désolé de parler, mais quelque chose me tracasse. Vous pouvez me rappeler vos noms ? Demandé-je timidement.
-Steak.
-Eclairvert...
-Et moi, Synthétique ! Et toi, d'ailleurs ?
-Nobouh. Pardon, Nobouh. Nobouh ! No-bouh ! Répété-je en m'énervant, incapable de prononcer mon véritable prénom.
-On avait compris la première fois. Répond Eclairvert, excédé.
-Non mais... Ce n'est pas mon vrai prénom ! J'essaie de le dire, mais c'est « Nobouh » qui sort de ma bouche ! Et vous, n'allez pas me dire que vous vous appelez vraiment Steak, Eclairvert ou Synthétique !
-Synthétique, Synthétique, Synthétique, Synthé-
-Tu vas la fermer ta gueule ? Lance sèchement Eclairvert.
-Nan mais essaye, toi aussi ! Impossible de dire mon prénom, c'est mon pseudo qui prend le dessus à chaque fois ! Répond Synthétique d'un air ahuri.
-Steak. Dit posément le propriétaire de ce nom.
-Tu pourrais au moins essayer plusieurs fois...
-Steak, comme Steak Haché ? Demande Eclairvert.
-Ouais. C'est mon pseudonyme complet, sur Contre-Attaque.
-Donc si je comprends bien, on joue tous les quatre au même jeu vidéo. » Résumé-je tout en jubilant intérieurement d'avoir un début d'hypothèse solide.Mais cette discussion s'interrompt soudainement, des coups de feu et des hurlements éclatant à une trentaine de mètres de nous : l'autre groupe est visiblement en danger. Tétanisés, mes trois amis et moi-même préférons nous accroupir tout en nous adossant chacun à un arbre différent, la sécurité de nos pistolets déjà retirée avant même que nous n'y ayons pensé. Une blague ? Une rixe ? Des ennemis ? Je n'ose pas aller voir. Les tirs durent une poignée de minutes, alors que les cris s'estompent rapidement. Une fois le silence revenu, nous restons immobiles encore une bonne demi-heure. Ça y est, je le sais, les hostilités sont lancées ; qu'importe ce que nous allons découvrir en rejoignant l'endroit où a eu lieu la fusillade, nous aurons un aperçu de ce qui nous attend. Ou, au meilleur des cas, tout cela n'était qu'une farce, et nous n'avons maintenant plus de guide.
Eclairvert est le premier à se lancer, la moue qu'il arborait jusqu'ici laisse désormais place à des lèvres pincées et des yeux écarquillés sous ses sourcils toujours froncés. Les deux mains cramponnées à son pistolet tendu devant lui, il avance lentement, balaye les alentours de rapides regards, puis disparaît finalement de notre champ de vision. Synthétique, visiblement inquiet pour son ami, le suit pour s'accroupir non loin de notre leader, prêt à le couvrir. Quant à Steak et moi, nous nous contentons de fixer l'adolescent, incapables d'avoir un dixième de son courage, et finissons par le rejoindre lorsqu'il nous fait enfin un signe de la main, avant de rattraper Eclairvert. Nous y sommes : des douilles, quelques morceaux de vêtements et des traces de sang recouvrent le sol, mais surtout, le cadavre d'une affreuse chauve-souris de la taille d'une tête humaine. Cette horreur me pétrifie. Ses immenses canines ensanglantées, ainsi que les multiples balles plantées dans son crâne, me font tout de suite comprendre ce qui s'est passé ici une demi-heure avant notre arrivée. Mais où sont nos camarades ? Pas de corps, que des traces de leur combat, se seraient-ils enfuis ?
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Immersion
Paranormal"Si nous devons piller ou tuer pour progresser, nous le ferons sans hésiter. La morale, l'éthique, le politiquement correct, toutes ces conneries qui régissent notre société ne s'appliquent pas ici. Nous en sommes réduits à nos bas instincts, et...