Ma tendre amie

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Georges revint du village, il l'avait vu, l'affiche. Son visage en disait long, il était sans vie, il savait que bientôt il le sera réellement. Sa femme était aussi au courant. Il referma la porte, le regard rivé vers le sol, rivé vers l'enfer qui l'attendait. Il traîna les pieds jusqu'au salon où il s'est assis, silencieux. Elle était restée dans la cuisine, il ne l'avait peut-être pas vue, elle espérait que non. Elle ne voulait pas qu'il aperçoive ses larmes silencieuses, désespérées.

Georges était plongé dans ses pensées, il appréhendait. Dehors, la peur n'était pas permise, mais chez lui, il pouvait trembler librement. Sa femme hésitait à venir, elle ne voulait pas le déranger, elle voulait être forte, elle ne voulait pas lui montrer qu'elle aussi, elle avait peur. Elle décida de finalement se planter derrière lui, de le prendre dans ses bras. Un frisson parcourut Georges qui sembla sortir d'une longue réflexion. Il serra les bras de sa femme autour de son cou et il l'étreignit, tendrement mais passionnément. Ils ne parlaient pas, leur étreinte en disait long. Ils percevaient ce moment comme un adieu et cette idée ne les réconfortait pas.

Ils ne savaient pas combien de temps ce moment avait duré. L'épouse se détacha de son mari doucement elle s'arrêta au niveau de l'oreille de Georges. Le souffle chaud de la femme vint caresser son cou.

- N'y va pas, je t'en prie.

Elle ressentait les muscles de son mari se tendre sous ses mains. Il y pensait, elle le savait. Son cerveau bouillonnait en essayant de trouver un échappatoire à son destin tragique. Elle pouvait s'imaginer un nuage grisâtre s'élever au dessus de la tête de son mari tellement son esprit s'archarnait, chauffait, tourbillonait.

Il finit par se lever lentement, à faire les cent pas. Ses souliers tapaient le sol avec nonchalance, rapaient le parquet, glissaient sur la surface. Puis au bout d'une vingtaine de minute, il s'arrêta. Son regard se dirigea vers sa femme, illuminé, rempli d'espoir.

- Je vais aller chez mes cousins en Espagne du Sud, déclara-t-il.

La femme fixa son mari ainsi que la proposition qu'il venait d'énoncer. Ce n'était pas idiot. Il avait gardé une correspondance avec ses cousins depuis sa tendre enfance et elle ne doutait pas un instant que ceux-ci accueilleraient Georges avec plaisir.

Elle acquiesça lentement. Tous deux savaient que si cette issue se révélait ne pas en être une, Georges mourrait. À la guerre ou par exécution pour désertion, peu importe puisque le résultat resterait le meme.

Mais si cela fonctionnait, Georges voyait ses chances de survie multipliées par cent. Seulement pourraient-ils se revoir un jour? Tous deux ne le savaient pas mais n'avaient que cette option et ils se devaient de la considérer.

Après une soirée passée à contempler le feu, à considérer le pour et le contre chacun dans leur esprit. Georges s'entendit avec sa femme d'un regard et alla préparer une petite malette. Puis il s'installa à son bureau pour rédiger sa demande pour ses cousins. Il pesait chacun de ses mots, veillait à ce que sa situation désespérée transparaisse à travers l'encre, s'appliquait à ce que ses cousins soient touchés et se sentent obligés, voire honoré, d'aider leur sang.

Sa femme s'en alla la poster dans la minutes où la goutte d'encre finale avait été déposée sur le papier.

Il n'attendit pas la réponse. Attendre signifiait partir au front. Alors sans s'attarder, il prit sa malette le matin suivant, empocha quelques sous pour le train, et partit pour l'Espagne.

Sa femme sentit son cœur se serrer, comme si un étau l'écrasait dans sa poitrine au point que les larmes remontent dans ses yeux et mouillent ses joues. Mais elle savait son mari sauf. Enfin elle le pensait, elle osait l'espérer et y croire, seulement rien n'était encore certain. Alors elle rentra dans sa maison et se laissa imprégner de l'absence de Georges jusque là inconnue. Un sensation de vide, de froid la traversa alors qu'elle voyait le feu s'éteindre petit à petit au rythme du train qui emportait son mari loin d'elle. Le feu consumait le fil qui autrefois les unissait si fermement. Le noir s'installa dans la pièce et dans son cœur et c'est comme cela que sa nouvelle existence s'entamait. Une vie solitaire, silencieuse, qui s'annonçait longue. Une routine qui se résumait à aller travailler à l'usine, s'acharner à assembler des obus, se corner la peau, perdre ses forces, se saigner toute la journée. Puis rentrer, épuisée, vidée de toute volonté et pourtant affronter encore sa pesante solitude. Le froid, le silence, le lit vide. Un seul couvert, les dépenses divisées par deux. Elle ne s'y faisait pas. Alors elle avait osé envoyer des lettres. Elle s'inquiétait, elle voulait savoir, mais elle ne recevait pas de réponses. Cependant elle ne perdait pas espoir, imaginant ses lettres simplement perdues.

Puis un jour, un rectangle blanc tâché par le voyage l'attendait. Quand elle le vit, son cœur battait la chamade. Elle savait avant même de l'avoir ouverte que Georges lui avait écrit. Son rythme cardiaque ne se calmait pas, il s'enflammait, demandait à sortir de sa poitrine. Alors elle l'ouvrit, rapidement, elle s'empressa de déplier le morceau de papier et elle laissa ses yeux parcourir les lignes avidement.

"Ma tendre amie,

Je vais bien, je suis sauf. Le soleil d'Espagne est chaud et accueillant mais ne supprime tout de même pas le manque que tu crées dans mon cœur. Je te veux à mes côtés. Mais cela est impossible, tu te dois de rester en France, non loin de ta famille, tu te dois de ne pas éveiller de soupçons. Je ne peux que m'imaginer la vie là-bas.

Ne doute cependant pas de mon amour. Je ne cesse de t'imaginer près de moi, d'imaginer tes bras chaud qui viendraient éclairer une journée sombre. Je ne cesse de t'imaginer rire. Oui, rire, un éclat de joie qui viendrait me faire oublier que tu n'es pas ici. J'imagine ce son si puissant et doux à la fois qui me berce de tendresse et d'amour. Je rêve de toi qui viendrait danser, m'entraîner dans un tourbillon de bonheur qui nous permettrait de nous envoler loin du malheur et de cette guerre qui nous tient éloignés l'un de l'autre depuis maintenant des mois.

Ma tête se tourne régulièrement vers la France, vers toi, comme si je pouvais sentir ton amour, comme s'il m'indiquait le chemin. Ainsi, je n'oublie pas mon objectif, ma maison. J'espère pouvoir revenir un jour, mais je crains le courroux du gouvernement.

J'essaie de ne pas perdre espoir à cette idée mais plus les jours passent plus je fais en sorte de considérer la pire des fins. Je sais qu'il y a une chance pour que je ne revienne jamais. Mais si une telle issue se présente à ce conflit, ne m'attends pas, refais ta vie, et sache que je t'aimerai toujours, ma femme adorée, toujours. Je te porte dans mon cœur à jamais pour le sacrifice que tu effectues avec moi pour me sauver la vie.

Je ne t'oublierai jamais, mais je ne sais pas si je pourrai envoyer d'autres lettres en vue du courrier surveillé en France.

En espérant te retrouver bientôt,

Je t'aime,

Georges."

La femme referma ce courrier, les joues trempées, les yeux embués. Elle souriait. Sa main droite caressait le papier avec tendresse tandis que son autre main était posée de manière protectrice sur son ventre devenant de plus en plus rond.

Elle repensait aux mots de Georges, son écriture si délicate et attentionnée qui lui était destinée. Elle se sentait libérée d'un poids. Le cœur de Georges battait encore, et plus encore, il battait pour elle. Elle aurait aimé qu'il lui parle du bébé, qu'il dise quelque chose. Mais peut-être n'avait-il pas lu cette lettre au moment où il avait écrit la sienne. Elle ne s'en faisait pas. Elle gardait encore espoir de le revoir un jour. Et puis, elle n'était plus vraiment seule, un autre être habitait avec elle maintenant, un autre être habitait en elle. Et quand Georges reviendrait, ce petit humain pourra connaître son père et une fois la guerre finie, ils vivraient une vraie vie de famille.

Pendant ce temps là, Georges repensait à cette lettre qu'il avait envoyé il y a quelques semaines déjà, alors que les balles sifflaient au dessus de sa tête et trouaient la peau blème de ses camarades. Il espérait qu'elle ne découvrit pas sa véritable situation. Il espérait qu'elle le pense sain et sauf encore jusqu'à la fin de la guerre. Il voulait qu'elle garde dans son cœur et son esprit l'image d'un mari qui ne risque rien, qui vit convenablement dans un château d'Espagne.

Alors il empoigna son fusil, exécuta l'ordre de son supérieur et sortit de la tranchée pour courir au milieu de l'enfer. Il ne pouvait pas refuser, il avait déjà essayé de déserter au début de cette guerre. Alors il courait, se baissait, trébuchait sur les cadavres de ses prédécesseurs. Il savait qu'il allait finir comme eux. La pluie commença à tomber, la terre se transformait en boue et les pieds de Georges se faisaient plus lourds jusqu'à ce qu'une balle, une simple balle allemande vienne le libérer, le rende léger, le laisse s'échapper de cet enfer pour s'élever vers le paradis. Sa dernière pensée fut pour sa femme, il aurait aimé revenir, il aurait aimé la revoir, il aurait aimé lui faire un enfant qui porterait leurs traits, il aurait aimé tout cela, mais au fond de lui il avait toujours su, depuis le moment où il était monté dans ce maudit train, qu'il ne reviendrait jamais.

N O U V E L L E SOù les histoires vivent. Découvrez maintenant