Il le tenait entre ses mains, cet insignifiant morceau de papier qui enfermait sûrement le diable. Il ne s'était pas préparé à le recevoir de si tôt mais il savait déjà ce qu'il y avait à l'intérieur, comme s'il pouvait lire à travers le papier. Les doigts de Luc se crispèrent sur l'enveloppe, ses battements de cœur s'accélérèrent. Tout devint silencieux. Il l'avait attendue, mais il n'avait jamais véritablement réalisé qu'un jour, elle se présenterait chez lui. Il tremblait à l'idée de l'ouvrir. Il rentra, sans la quitter des yeux. Il jeta l'enveloppe sur la table basse et s'assit sur le canapé. Le temps de coincer une cigarette au coin de sa bouche, elle n'avait pas disparu. Elle était toujours là, la boîte de Pandore. Les minutes passèrent et le cendrier se remplit sans que décision ne soit faite. L'enveloppe était encore intacte, immaculée et répugnante. Le bâton d'Asclépios menaçait de son venin. De faibles filets lumineux se faufilaient à travers les failles des volets pour venir pointer d'un halo divin le secret de la fatalité. Dès qu'il l'aurait ouverte, dès qu'il aurait faite entrer cette nouvelle dans sa vie, il ne pourrait plus l'ignorer. Le papier qui effleurerait sa peau jetterait un voile terriblement concret et officiel sur ses craintes. Inscrites sur la feuille, inscrites dans ses pensées, elles ne pourraient jamais s'effacer. Luc ne voulait pas de ce souvenir, de cette image, de cette malédiction. Pas tout de suite. D'un bond, il se propulsa à l'autre bout de la pièce. Il ne l'ouvrirait que ce soir. Encore pour une journée, il ne voulait pas savoir. Encore pour une journée, il voulait que tout aille bien. Alors que ses clefs s'apprêtaient à tourner une deuxième fois dans la serrure, il suspendit le mouvement. Un moment de doute. Il courut chercher l'enveloppe, la plia en quatre et la fit disparaître au fond de sa poche.
En descendant l'escalier, Luc croisa sa voisine, chargée d'un sac de course. Une dame âgée, petite, douce et discrète. Comme à chaque fois, elle lui adressa le même sourire, chargé de bonté et de détresse. Ce même sourire qu'il ignorait à chaque fois.
- Bonjour, lui dit-il.
Elle s'arrêta, surprise. La culpabilité écrasa le cœur de Luc. Etait-il si cruel avec elle d'ordinaire ? Lui ne s'était pas interrompu dans sa lancée. Un autre regret. Il se retourna. Elle peinait encore à traîner ses légumes jusqu'en haut de l'immeuble. Sans prononcer un mot de plus, il lui prit délicatement les hanses de son sac et lui proposa son avant-bras. Elle se contenta de sourire à nouveau avant d'accepter et de s'appuyer sur Luc. Ils n'avaient rien à se dire, rien ne devait être dit. Elle le lâcha le temps d'ouvrir son appartement et elle ne le ré empoigna plus. Elle lui reprit timidement son sac et lui laissa un « merci » hésitant avant de disparaître derrière sa porte. Luc reprit les escaliers qu'il descendit avec légèreté.
Sur le quai de la gare, il fourra ses mains dans ses poches, elles rencontrèrent le papier rêche de l'enveloppe. Il frissonna, il ne l'avait pas oubliée. Ses doigts la frôlaient dangereusement. Luc sentait le sang noir qui palpitait contre son flanc. Sa vision s'en troublait. S'il l'ouvrait, il ne pourrait plus fermer les yeux. Les vitres autour laissaient passer la lumière du jour. Le soleil brillait encore. Alors il lâcha prise et le ciel redevint bleu.
A regarder les paysages défiler, la tête collée contre la fenêtre froide, le souffle chaud qui la troublait, Luc sentit une vague le submerger. Il s'empressa de sortir une pile de feuilles, un stylo, et il se mit à écrire. Il ne savait pas bien ce qu'il racontait, mais cela lui plaisait. Les mots se répondaient entre eux, faisaient sens quand Luc n'y parvenait pas lui-même. Peu à peu les personnages prirent forme et l'histoire se mit en route. Une idylle. Oui. Une femme, avide d'amour. Non. Cet homme la voit, elle pleure. Mais pourquoi ? Luc n'en savait rien, sa plume, elle, n'allait pas tarder à le lui faire découvrir. Il en manqua son arrêt. Puis le suivant. Dix pages plus tard et à court de papier, il releva la tête. Mince. Il rangea hâtivement ses affaires et se prépara à descendre. Il devait être à une heure de marche de son bureau. Qu'importe, il avait le temps de profiter d'une journée si brûlante de vie. Il traina même le pas, se délectant de chaque moment de liberté. Il ferma les yeux, laissa les piétons le bousculer, le vent le confronter. Tout était intensifié. Les sons. Les odeurs. Tout. Chaque cri, chaque rire, chaque vrombissement de moteur. Un bouquet de rose, le bitume bouillonnant, le parfum d'une coquette. Tout. Depuis quand la ville était-elle si riche ?
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Cerita PendekUn recueil de nouvelles, tout ce qu'il y a de plus simple... Chacune d'entre elles est indépendante. Sinon j'y met aussi les sujets d'invention que j'écris pour le lycée, allez, bonne lecture!