Les suffocations du moteur me réveillèrent. La voiture avançait au pas. Combien de temps avais-je pu somnoler? Je resserrai mes mains sur le volant alors que je remerciais le ciel pour ne pas avoir percuté une autre voiture ou simplement pour être resté sur la route. Je frissonnai en visualisant tout ce qui aurait pu m'arriver pendant ces... Secondes? Minutes? Heures? Dans mon dernier souvenir, le soleil était déjà bien bas, prêt à disparaître. A présent il faisait entièrement nuit. Les chiffres digitaux de ma voiture clignotaient en affichant minuit, mon téléphone ne voulait pas s'allumer. Je n'avais jamais traversé cette campagne, je continuais d'avancer à l'aveugle. Jusqu'où avais-je bien pu me rendre? Le brouillard enveloppa ma voiture jusqu’à ce que je ne pusse plus distinguer ce qui se trouvait à dix mètres devant moi. J'allumai les phares. Ce n'était pas bien utile, au contraire, la brume semblait d’autant plus épaisse. Aucune voiture ne semblait circuler à part la mienne. Toujours en progressant au pas, je passai le panneau blanc et rouge qui annonçait « BARAQUEVILLE ». Je ne distinguais qu’à peine les maisons noires et froides qui se tenaient de part et d’autre de la route. De faibles points lumineux dansaient à trois ou quatre mètres du sol. Ma voiture poussa un grognement rauque. Je me rangeai sur une place de stationnement avant qu’elle ne s’immobilisât et que le moteur ne s’éteignît. Le voyant de l’essence m’agressait de son éclat orange. Il devait être allumé depuis un certain temps pour que le véhicule en vînt à s’arrêter. Avais-je pu le manquer par mégarde? Je serrai le frein à main avant de saisir mes affaires et de m’aventurer dans le brouillard glacial de Baraqueville. Le silence pesait dans le village. Seul l’écho de mes pas se risquait à le briser. Aucune fenêtre n’émettait de la lumière, aucune vie ne traversait les rues habitées de bâtisses énormes et effrayantes. Je m’éclairais au scintillement des quelques lampadaires, frêles et timides, qui se tenaient courbés dans le froid, engloutis par les ténèbres. Les toits en ardoise des maisons, plus sombres et menaçants que la nuit, se tenaient bien droits, alignés dans la mâchoire du démon, tranchants et affamés d’âmes perdues.
Les lettres en bois annonçant un hôtel m’échappèrent de peu au milieu de la pénombre. Le « L » s’était retourné et pendait à l’envers, le « T » ne tenait qu’à la force d’une unique pointe et valsait légèrement en laissant échapper un grincement glacial quand une brise venait se confronter à lui. Aucune lueur, même faible, n’émanait de l’immeuble. Je décidai alors de frapper. Personne. Je cherchai une sonnette, une cloche. Rien. Mon poing résonna de nouveau contre le bois de la porte. Toujours pas de réponse. Je tentai alors d’enfoncer la poignée mais le verrou était bien solide et la clef bien tournée. Je reculai lentement sur les marches de béton pour étudier la façade lugubre. Peut-être que ne pas passer la nuit ici n’était pas une si mauvaise chose. Alors que je m’apprêtais à tourner le dos à cet hôtel, je croisai les yeux fixes d’un homme qui se tenait à la fenêtre du deuxième étage. Il avait légèrement soulevé le rideau du bout de son index. Son regard semblait figé sur moi, immobile, comme hypnotisé par ma présence. Il s’empressa de disparaître dans l’obscurité de sa chambre. Déconcerté par cette attitude, je retournai sur le trottoir humide en lançant des coups d’œil nerveux vers cette lucarne. Je ne pouvais m’ôter le visage de cet homme de l’esprit. Exprimait-il de la fureur ou de la terreur? J’accélérai le pas, je désirais m’éloigner le plus possible de l’hôtel. Je nourrissais l’espoir de tomber sur une autre auberge mais plus je parcourrais les ruelles de Baraqueville, et plus cet espoir se mourrait. Vide, noir, froid, cet endroit n’aurait jamais été mon choix de destination. A court d’autres solutions, je me résignai à aller supplier les habitants du village de me laisser profiter de leur toit. Honteux et embarrassé, je toquai à la première porte qui se présentait. Je ne fus pas surpris quand aucun son ni lumière ne s’éveilla dans la maison. Mes pas mouillés résonnèrent dans le silence de la rue lorsque je redescendis du perron. Le calme angoissant triomphait dans les rues embrumées et désertes. Je fis quelques pas dans le brouillard et retentai ma chance. Oh comme je brûlais d’envie d’entrer ! J’entendis un bruit provenir de l’étage. Un grincement me fit lever la tête, je pus apercevoir de peu des bras qui refermaient rapidement les volets. Désespérément, j’attendais tout de même devant la porte, rêvant la voir s’ouvrir. Seulement, le villageois répéta l’opération sur chacune des fenêtres, obstruant chacune de mes espérances. Je m’apprêtais à tourner les talons quand un bruit de verrou attira mon attention. Des yeux apparurent à travers les grilles du judas. Leur noirceur suffisait pour transmettre le désir de me voir partir. Soucieux, je décidai de ne pas m’attarder plus longtemps et je quittai le pas de porte sous un regard véhément. Je continuai mes recherches. Je m’aventurai sur le palier suivant. Je n’eus même pas le temps d’avancer mon poing que j’entendis la clef tourner dans la serrure et les rideaux se tirer. Je n’insistai pas plus et m’en allai déjà à la prochaine habitation. Je pris une inspiration, j’inhalai un souffle d’espoir. Croisant les doigts, priant le ciel, je frappai.
Une fenêtre s’éclaira, phare de la nuit. Le faisceau tombait sur moi, m’illuminait dans la nuit, pointait la proie du soir. Mon cœur s’emballa dans ma poitrine, et s’il s’agissait des habitants les plus malintentionnés du village ? En repensant à l’homme de l’hôtel, je me convainquis qu’il serait bien difficile de faire plus dérangeant. Je vis une silhouette noire se définir petit à petit alors qu’elle s’approchait de la vitre pour m’observer. Debout et seul dans la rue, je me faisais dépouiller du regard par l’inconnu au visage plongé dans son ombre. Il se retourna pour parler derrière lui. Je m’attendais à voir la porte devant moi s’ouvrir d’un instant à l’autre, mais au lieu de cela, ce fut la fenêtre qui s’entrebâilla. L’homme se pencha vers moi et agita son poing violemment. Chacun de ses mouvements étaient hésitants, retenus par une peur profonde, mais tout de même forcés par une colère ardente.
- Que fais-tu encore planté devant chez moi ? Va-t-en ! Tu n’entreras pas ! Laisse nous tranquille ! Tu ne nous auras pas !
Les cris de l’homme se répandirent dans les rues et dans mon âme. Agressé et humilié, je restai immobile sur le palier sans la moindre idée de ce que je devais faire. M'excuser ? Pourquoi? Répliquer ? Non, ce ne serait pas une bonne idée. Leur tourner le dos et m'en aller? Cela semblait être la meilleure option mais mon corps refusait de bouger, je désirais toujours entrer. Quelle folie !
Dans les bâtisses autour, les lumières s’allumèrent et les habitants s'agglutinèrent contre les carreaux pour rendre compte de ce qu’il se passait. Ainsi, des dizaines de faisceaux m’éclairèrent, des dizaines de paires d’yeux se posèrent sur moi et m’épièrent dans l’ombre.
- Va-t-en !
- Il n’y a rien pour toi ce soir !
- Tu n’es le bienvenu nulle part ce soir
- Tu n’auras personne !
- Que personne ne le laisse entrer !
Les hurlements et injures se multiplièrent de tous côtés. Ces projectiles fondaient sur moi sans retenue. J’avais compris les habitants du village peu accueillants mais je ne m’étais jamais attendu à recevoir une haine aussi virulente de leur part. Sans bien réfléchir, j'abandonnai tout espoir de rentrer et pris mes jambes à mon coups. Je me dirigeai vers une rue plus éloignée. Sur mon passage, les rideaux se soulevaient, les regards accusateurs s’acharnaient. La rue était maintenant trop vivante et éclairée à mon goût. Et pourtant, aucune porte ne s’était ouverte, personne n’était venu me chasser du village à coups de torches et fourches acérées. Tout le monde restait à l’intérieur, cloîtré, caché. Ceux qui s’aventuraient à sortir la tête pour me vociférer leurs mots féroces se gardaient bien de le faire au rez-de-chaussée. Pour qui me prenaient-il pour qu’ils m’ensevelissent sous leur flot d’aversion ? Une tornade de véhémence s’était déclenchée et frappait aussi soudainement que la foudre. Je courrais dans les rues en essuyant les vagues d’animosité qui venaient de tous côtés. Chaque maison me hurlait de m’en aller. Mais où ? Ma voiture était en panne, le prochain village était à je ne sais combien de temps de marche. Je cherchai un endroit où m’assoir un instant, où je pourrais reprendre mon souffle et laisser mon cœur reprendre une cadence supportable. La fraicheur de la nuit figeait les gouttes de sueur qui dévalaient sur mes tempes et mon dos.
J’avais honte, mais pour quoi ? Les yeux fous de rages des villageois m’avaient infecté d’un sentiment de culpabilité que je n’arrivais pas à expliquer. Leurs paroles venimeuses serpentaient les rues et venaient m’agresser. L’humidité de l’air dans la nuit froide saisissait mon corps de frissons incontrôlé. Il me fallait un toit, je devais parvenir à entrer dans une maison. Comment pourrais-je survivre autrement ? Le brouillard diabolique ne faisait que m’encourager à quémander l’hospitalité. Je me relevai avec peine, m’agrippant à la brique moite et glissante. Le clocher à l’autre bout de la rue transperçait la brume, je m’y rendis. Les immenses portes de bois se dressaient devant moi. Tandis que je les poussai, elles lancèrent dans la pénombre un gémissement, triste et pétrifiant, qui attira l’attention d’un homme agenouillé dans le chœur. Le prêtre se leva précautionneusement. Il trembla à ma vue. Les faibles lueurs de dehors projetaient une longue et terrifiante ombre devant moi. Je levai une main, tentant de préciser que je n’avais aucune mauvaise intention. Le vieil homme s’avançait vers moi, doucement. Des chuchotements m’attinrent peu à peu, leur écho se fracassaient sur les murs de l’église et m’agressaient de chaque coin. En latin, il me parlait en latin. Je fis un pas vers lui, je passai le pas de la porte. Ses paroles s’ancrèrent dans mon esprit, s’accrochèrent, se tortillèrent alors qu’il avançait toujours plus. Je portai mes mains à ma tête. Ses murmures me creusaient une douleur assourdissante. Tandis qu’il s’approchait, je voyais ses yeux fous me fixer, son bras droit serrer une croix en bois contre son cœur et son bras gauche levé vers moi comme s’il voulait me repousser.
- Mon père, je vous en prie je… commençai-je.
Il fit encore deux pas de plus avant de furieusement saisir les deux battants de la porte et de les rassembler dans un fracas terrifiant, m’expulsant ainsi hors de l’église. Le silence se rétablit aussitôt dans les rues. Les lumières accusatrices s’étaient évanouies. J’appréciais l’obscurité et le calme de la rue où, de nouveau, mes pas vibraient timidement. Mon corps, exténué, m’incitait à m’établir sur un banc, mais ma volonté me tirait vers une habitation qui affichait les courbes du trois au-dessus de sa porte. Trois coups résonnèrent, trois secondes s’écoulèrent avant que la lumière ne s’allumât dans la maisonnée. J’entendis une clef tourner deux fois dans la serrure. Je retenais ma respiration alors que le battant de bois s’ouvrait devant moi pour laisser apparaître une jeune femme.
- Qu’est-ce qui vous amène ?
Je restais sans voix. Je ne m’attendais plus à ce que l’on m’ouvre, l’espoir s’était envolé avec la tempête d’injures. Je devais avoir l’air entièrement déboussolé car elle afficha un grand sourire avant de s’écarter pour m’inviter à rentrer. Une fois que j’eus passé le pas de la porte, une bouffée d’énergie et un torrent d’émotions me traversèrent. Le brouillard qui m’entourait depuis trop longtemps se dissipa pour se transformer en un flot bien que trop clair de bonheur, terreur, fureur, soulagement, excitation, accomplissement et satisfaction. Tout se mélangeait mais je discernais tout ce qui s’y trouvait.
- Ma voiture est tombée en panne cette nuit et je n’ai nulle part où passer la nuit, expliquai-je avec une certaine aisance.
- Votre tête en disait beaucoup, ne vous en faîtes pas.
Sa bienveillance me stupéfiait. Je restai à l’observer depuis l’entrée. Une frêle chemise recouvrait ses épaules et tombait jusqu’à ses genoux. Elle me faisait face et n’interrompit pas ma fascination. Sans se préoccuper de moi, elle éteignit la lampe de l’entrée pour m’éblouir avec celle du salon. Loin d’un mobilier habituel, il croulait sous des piles de cartons dont la moitié du contenu se déversait sur le sol.
- Excusez le désordre mais je ne m’attendais pas à recevoir cette nuit, m’annonça-t-elle d’un ton amusé.
- Ne vous en faîtes pas, marmonnai-je.
- Asseyez-vous, voyons. Vous désirez boire quelque chose peut-être ?
- Non, ne vous dérangez pas.
Elle s’en alla dans la cuisine d’un pas léger et revint avec un plateau garni de deux verres d’eau et de petits gâteaux harmonieusement disposés. Un sourire rieur s’était dessiné sur son visage.
- Vous avez l’air épuisé, vous cherchez depuis un moment ? questionna-t-elle en plaçant un verre dans ma main droite et un biscuit dans la gauche.
- Je n’ai pas compté, mais j’ai subi quelques refus.
- Vraiment ?
Elle avait l’air vraiment surpris. Elle n’avait pas dû vivre dans le village assez longtemps pour s’apercevoir du manque de savoir-vivre des habitants.
- Disons que je n’étais le bienvenu nulle part. Je laissai échapper un ricanement. J’ai cru à une plaisanterie quand votre porte s’est ouverte.
- Je ne comprends pas. Je ne suis arrivée que ce matin mais le voisinage m’a paru sympathique. Tenez ! Ils m’ont aidé avec mes cartons !
Je trouvai l’écart de nos expériences avec les villageois bien trop important pour qu’il ne s’agisse que d’une simple préférence envers le sexe féminin que masculin.
- Bien, il se fait tard, peut-être devrions-nous aller nous coucher.
Au moment où elle finit sa phrase, la sonnerie de son téléphone se fit entendre. Elle m’indiqua d’attendre sur le canapé tandis qu’elle se levait pour se diriger à l’autre bout du salon. Je l’accompagnai du regard, étudiais les mouvements de son jeune corps alors qu’elle traversait la pièce en hâte. Tant dans sa voix que dans ses manières, cette enfant trahissait son ignorance sur la vie et sa profonde naïveté. Elle ria presque en décrochant, traversée par un frisson d’excitation qui m’échappait et m’agaçait.
- Oui allô ? Hum…Hum… Oui effectivement il est… Pardon ?... Mais que dîtes-vous ?
Elle gloussait à chaque phrase, incapable d’agir comme une adulte, marquée par un flagrant manque de sérieux. Ciel ! Elle m’atteignait, j’en frémissais.
- Vous voulez dire que… Vous êtes fou ! Monsieur ! elle raccrocha violemment en forçant sa colère.
Elle revint s’installer auprès de moi. Elle affichait une mine frustrée comme si une friandise lui avait été refusée.
- Les voisins affirment que je n’aurais pas dû vous laisser entrer. Non mais vous imaginez ? Ils m’espionnent !
Elle prit une gorgée d’eau en prétendant que cela allait la calmer, s’il lui était nécessaire de se calmer.
- Je ne vous laisserez pas, ne vous en faîtes pas, murmura-t-elle en me caressant maladroitement l’épaule.
J’étais saisi d’un irrépressible désir de balayer sa main et de la projeter au sol le plus violemment possible. Ses manières faussement hospitalières et aimables ne m’inspiraient aucune confiance mais m’irritaient jusqu’à la moelle. La nécessité d’arracher et de déchiqueter le masque social qu’elle exhibait me rongeait. J’essayais néanmoins de ne rien laisser transparaître, elle était la seule à m’avoir accueilli ce soir. Malgré tout cela, elle m’apparaissait tout de même comme la candidate idéale. Le téléphone se remit à sonner. Elle sursauta exagérément et afficha un sourire bien trop poussé pour un simple appel avant de se lever d’un bond pour s’élancer de nouveau vers le combiné.
- Allô ? chanta-t-elle.
Je me levai à mon tour. Je ne pouvais pas rester assis sur ce canapé un instant de plus. Elle me tournait le dos, et je mourrais d’envie d’y planter n’importe quoi, de voir sa chemise se tâcher de rouge alors qu’elle s’effondrerait à mes pieds.
- … un démon ?
Sa voix me percuta brutalement. Je m’étais avancé vers elle, les poings fermés si durement que mes ongles en avaient traversé l’épiderme. Ma poitrine se vida dans une longue et lourde expiration, avais-je retenu ma respiration ? Je reculai doucement alors que la jeune fille s’était immobilisée et tue pour écouter attentivement son interlocuteur.
- Non, il ne peut pas être… Oui, je vous entends… Mais non… Il n’a rien de diabol… Oui, dans mon salon, à côté… Mais où voulez-vous que j’…
Elle s’était remise à gesticuler, à creuser les mouvements de ses hanches. Elle avait saisi une de ses mèches pour l’entortiller nerveusement autour de ses doigts. Mon cœur accéléra ses battements qui guidaient chacun de mes pas vers la cuisine. Ma nuque et mon corps tout entier se crispaient alors que je m’approchais de l’unique tiroir. Pourquoi étais-je en train de l’ouvrir ? Pourquoi avais-je empoigné ce couteau ? La respiration saccadée de mon hôte me surpris. Elle se tenait dans l’encadrement de la porte, le téléphone encore soudé à son oreille. Elle ne riait plus. Elle chiffonnait sa chemise. Elle retenait ses larmes qui tremblaient sous les convulsions qui parcouraient son corps.
- Il est dans ma cuisine… Oui, un couteau… Je ne peux pas… Je n’arrive pas à bouger…
La terreur s’emparait de son visage. Bien. Je fis un pas vers elle. Elle en sursauta au point qu’elle laissa échapper le combiné qui s’écrasa sur le sol.
- Pourquoi ? sanglota-t-elle à mon égard.
- Je n’en sais rien, marmonnai-je, confus.
Je ne mentais pas. Je ne comprenais rien de ce qu’il se passait, mais je connaissais ce qu’il allait arriver. Je savais ce que je voulais, mais j’ignorais pourquoi. Mon corps continuait d’avancer. Immobile et possédée de tremblements incontrôlés, elle reniflait bruyamment. Parfait. Elle laissa sa peur couler le long de ses joues alors que j’approchais au plus près d’elle. Sa frayeur m’enivrait. Non, ce n’était pas moi, ce n’était pas possible. Je voulus reculer, reposer mon arme, m’excuser, m’enfuir. Au lieu de cela, je levai mon bras au dessus de ma tête.
- Je suis véritablement navré, annonçai-je en souriant.
Je retins ma respiration. Je ne voulais pas faire cela. J’abaissai mon bras alors que son cri glacial me réveilla.
Au loin, l’horizon encore ténébreux laissait échapper quelques lueurs rosées. J’étais dans ma voiture, arrêtée là où je l’avais laissée. Mon siège était incliné. Avais-je réellement dormi ici ? Une substance sèche et sombre enduisait mes mains et mes habits. Au toucher, j’aurais parié sur de la boue. Je tournai la clef, le moteur se réveilla dans un grognement vif. Les voyants s’allumèrent. Le niveau d’essence était rempli. Il était sept heures du matin. Je secouais la tête en essayant d’effacer mon cauchemar. Il était temps que je reparte. Je traversai Baraqueville au pas, craignant réveiller l’hostilité des habitants. J’approchais de la sortie du village, une habitation éclairée attira mon attention. La porte était grande ouverte et un trois de bois la couronnait vaillamment. Et c’est ainsi, alors que je passais lentement devant ce palier, que l’infernal instant où je vis avec horreur gésir, dans une marre rouge sur le pas de la porte, le corps meurtri d’une jeune femme couverte d’une simple chemise, me parut durer une lourde éternité.
VOUS LISEZ
N O U V E L L E S
KurzgeschichtenUn recueil de nouvelles, tout ce qu'il y a de plus simple... Chacune d'entre elles est indépendante. Sinon j'y met aussi les sujets d'invention que j'écris pour le lycée, allez, bonne lecture!