A lisière du bonheur

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Deux jours auparavant, j’avais atterri en Colombie avant de m’aventurer jusqu’au cœur du village Puerto Nariño. La chaleur et l’humidité alourdissaient et écrasaient l’atmosphère tropicale, je n’y prêtais aucune attention. Mes perles de sueurs se perdaient au milieu des larmes que je versais régulièrement depuis une semaine.

« Martin, c’est Julie… Jusqu’à maintenant je ne savais pas pourquoi je voulais t’appeler… »

Sa voix brisée par les sanglots résonnait encore dans mes oreilles alors que je m’installais dans le coin de ma chambre aimablement prêtée par un habitant du village.

Demain, dès l’aube, j’emprunterai le chemin vers le cœur de l’Amazonie. Du coucher du soleil nuancé de mélancolie au lever fraichement coloré, le sommeil ne daigna pas pointer son nez. Les sons de la nuit, d’ordinaire si apaisants, avaient hanté mon esprit pendant de longues heures. La chaleur était légèrement redescendue, néanmoins des litres de sueur chutaient sur ma peau frissonnante d’impatience. Je jetais sans cesse des coups d’œil à l’heure, levais ma tête pour observer la teinte du ciel, espérant en vain voir les lueurs matinales se dessiner. Ce fut une longue et insupportable attente avant que mon guide ne vienne enfin me chercher.

- ¡Lenvántese señor! Tenemos que irnos ahora mismo si usted quiere evitar a las turistas y el calor.

Je me hissai hors du lit sans attendre une seconde de plus, obéissant ainsi aux grands signes du vieil homme, assez explicites pour que mes lacunes en langue hispanique ne me portent pas préjudice. Dans un espagnol approximatif accompagné d’une gestuelle complexe, j’entrepris de m’informer sur la distance à parcourir entre Puerto Nariño et le lieu de l’accident. Une journée. Je saisis mon sac, il était impensable de l’oublier.

«Jusqu’à maintenant je ne savais pas pourquoi je voulais t’appeler… Je vois clair.»

Je chassai la voix de Julie d’un sec mouvement sous mes paupières avant d’emboiter le pas à mon guide vaillant déjà parvenu à la lisière de la jungle. La température était encore supportable. Les nuages sombres et menaçants, teintés de jaune et de bleu, dansaient aux dessus de ma tête et créaient un spectacle émouvant qui s’apprêtait à disparaître sous le feuillage étouffant de la mystique forêt d'Amazonie. Une fois que nous eûmes passé les premiers arbres, nous nous sommes immédiatement retrouvés coupés de la civilisation et engloutis par l’immensité des arbres majestueux dressés à perte de vue. L’ombre apporta une fraicheur légère et inattendue qui condensa les gouttes de sueur ainsi que celles de l’atmosphère humide sur ma peau. Aucune bourrasque, aucun souffle, aucune bise ne pouvait circuler jusqu’à nous, simplement le souffle vivant de la forêt qui faisait vibrer mon cœur. Je peinais à suivre mon guide qui se faufilait agilement entre les lianes aussi épaisses que des boas et qui écartait d’un simple coup de machette les feuilles aussi imposantes que d’épais rideaux. Je me souciais de perdre le seul être capable de me ramener à Puerto Nariño mais je redoutais encore plus l’échec de ma mission: je me devais d’atteindre les restes de l’avions au milieu de ce labyrinthe.

« Tout à l'heure quand le capitaine a annoncé que nous allions... »

Je connaissais par cœur le son des pleurs incontrôlés de Julie qui l’empêchaient de finir sa phrase, et pourtant je connaissais par cœur ce qu’elle avait voulu dire.

Plus nous avancions et plus le passage se faisait difficile. Les arbres se rapprochaient, mon cœur était aussi lourd que l’air qui m’emprisonnait, j’étouffais de plus belle. Les rayons du soleil se frayaient enfin un chemin à travers le feuillage et se diffractaient à travers l’espace en une multitude de minuscules arc-en-ciel. Les filets lumineux se réunissaient et s’entremêlaient pour tracer le portrait de Julie. Un nœud se forma dans ma gorge, je me savais incapable d’oublier son doux visage.

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