Chapitre 3 (réécrit) -notes graves

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Qu'elle est professionnelle la nouvelle, se dit Sera. Elle a tout pour plaire, une de plus qui va s'enchaîner dans un tourbillon d'enfer et presque insoutenable pour de si frêles épaules, continue t-elle de songer en scrutant sa redoutable adversaire.

Gialla est sur scène, droite et souple, avec une fausse démarche assurée, qu'elle a en réalité, répété des millions de fois. Et le résultat trompe seulement ceux qui sont là pour s'amuser mais pas les yeux habitués qui se cachent en coulisses. Pour ne pas dire ceux de Sera. Deux yeux marrons glacés brillant dans l'intimité de l'arrière de la scène. Dans l'ombre. La face cachée.

Gialla les cheveux au vent, la blondeur d'un timide soleil d'hiver, et la voix puissante et revolver. Autant dire que le public est conquis. Elle les touche tous un par un en prenant soins de ne jamais rater sa cible. Ou ses multiples cibles.

-- Mais qu'est ce que tu fais encore ici chérie ? Demande Stéphane à sa protégée, agacé par son comportement déraisonnable.

Sera fut surprise dans ses pensées et passe devant son producteur en marmonant. Elle a une envie irrépressible de le semer pour qu'il ne soit plus à ses trousses. Mais rien à faire il est tenace le producteur. En soit elle ne devrait pas trop s'en plaindre.

-- Si on a plus le droit de prendre la température de la salle... dramatise l'apprentie actrice.

-- Chérie, dis moi, tu ne devrais pas déjà être prête ? Regarde moi tes cheveux, tu es consciente qu'il n'y a qu'un côté de bouclé ? Gialla finit sa chanson et je te rappelle que c'est à toi de faire ton entrée ! Et tu n'es pas prête du tout ! Rassure moi chérie, dis moi ce que tu dois faire ...?

-- Mon entrée, assure Sera comme une élève qui récite sa leçon. Ou plutôt qui traîne sa leçon depuis déjà plusieurs classes. Un peu comme un théorème que vous vous coltinez chaque année ou une règle de grammaire que vous ne voulez pas retenir. Non jamais.

-- Une entrée quoi ? Demande Stéphane remplis d'espoir comme un professeur qui ne connaît pas encore ses élèves et qui pensent que ça va bien se passer.

-- Une entrée ... en scène ! S'exclamé la chanteuse, persuadée d'avoir trouvé le mot manquant. Ce petit jeu devient ridicule mais Stéphane semble tellement sérieux.

-- Mais non... Sera, une entrée fra-cas-sante.

-- Ah ok.

Sera se rend d'un pas agacé dans sa loge afin de finir de se faire coiffer et Stéphane la suit en rouspetant. Après son monologue de dix minutes il regarde sa montre et prévient la chanteuse qu'il ne reste qu'une minute avant son entrée en scène.

-- Tu t'es pris pour le lapin d'Alice ?

-- Toi et ton insolence ! Mais bon je t'aime pour ça.

Sera lance un regard que l'homme connaît trop bien puisqu'il le voit tous le soirs. Un regard qui dit que l'artiste a besoin de solitude avant d'entrer en scène. Alors comme une tradition, chaque soirs après ce regard, l'équipe se retire élégamment de la petite loge afin de laisser la vedette avec son personnage.

La soirée se termine sur les applaudissements et les félicitations. Les encouragements, les dédicaces et les gardes du corps protégeant les artistes.

Sera quitte la lumière des projecteurs en une fraction de seconde pour se retrouver dans la nuit des coulisses. Des étoiles pleins les yeux, des compliments plein la tête.

En se dirigeant vers sa loge elle tombe sur Gialla, les cheveux défait et le maquillage qui déclare forfait. Un instant elle croit paniquer ne sachant pas quoi dire. Elle voit Gialla. La vraie. La femme. Pas le personnage. La chanteuse est troublée par le regard si sincère et transpercant dans lequel elle chute en ce moment. Et elle le trouve si charmant. Sera s'était approprié le nom de Gialla comme étant le synonyme d'ennemie mais en la voyant là, elle se trouve ridicule. Oui car en fait elle ne sait rien de la blonde. Juste ce qu'on a bien voulue lui raconter à son sujet.

Et encore en une fraction de seconde elle passe de cette image lumineuse comme le jour, à une salle plus sombre qu'est sa loge. Puis Stéphane la raccompagne chez elle.

-- La première promo était super ! A demain ma belle ! S'exclame le producteur plutôt satisfait.

-- Merci Stéphane, à demain.

Nous sommes vendredi soir, c'est minuit, mais dans ce métier il n'y a pas de week-end. Pas de fin de semaine. Juste des jours qui s'enchaînent.

La jeune femme se débarrasse de ses talons à peine le seuil de la porte franchie. Elle se laisse tomber sur son beau divan en sachant qu'elle ne trouvera pas le sommeil maintenant.

Elle s'empare de sa télécommande dans l'espoir de trouver un film pour se changer les idées, pour décompresser. Elle évite toujours les chaînes de musique. Mais pas cette fois. Ses yeux sont attirés par le même regard que tout à l'heure. Gialla et son nouveau clip. Une force supérieure à sa volonté l'oblige à ne pas zapper.

Tout d'un coup elle se surprend à monter le son et à croire tout ce que la chanteuse dans l'écran lui chante. C'est ridicule, en plus c'est du playbac. Et des "je t'aime", et des "pour toujours".

La magie d'une chanson. Chaque spectateurs est censé se sentir visé par ce que raconte la cantatrice inlassablement. Que c'est bon de se sentir à cette place. Invisible et innocent, en rêver inconsciemment. Être fan et le crier sur tous les toits, saouler tout le monde avec ça. Réciter les paroles qu'on est si fier de connaître par cœur, s'inspirer de son idole.

J'ai de la chance, se dit Sera. Quel beau métier que voilà. Ces générations d'artistes éternels. Serait-ce un gène commun ? Le gène artiste qui n'apparaît que rarement. Sera se saoule désormais de musique sur les mots de sa concurrente. Pendant quelques heures elle reste fixée sur cet écran, en tout cas assez longtemps pour que la voix lui paraisse familière.

En public ou en coulissesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant