Chapitre 4 (réécrit) -percussions

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Stéphane a le nez collé dans la carte des vins, pour une fois que ce n'est pas dans le planning ne laissant plus de travail à sa secrétaire. Il a tellement l'habitude de l'entendre rouspeter qu'il ne s'en aperçoit même plus. Ou du moins son cerveau l'a fait passer dans le domaine inconscient jugeant inutile de détecter un brouhaha quotidien. Ce n'est plus un son qui l'alerte au grand désespoir de la gentille secrétaire.

Ce soir l'équipe dîne au restaurant. C'est un rituel assez habituel pour cette "famille" du métier. Sera est aux toilettes. Son estomac la met déjà en garde sur ce qu'elle va manger. Ne pas prendre un gramme en plus est une priorité. La jeune femme sort de son cabinet et se dirige vers le lavabo. Ses mains font le tour de son visage pour l'aider à reprendre ses esprits. A force d'avoir accumulé la fatigue ça explose à un moment où un autre.Elle ne prête pas attention au miroir qui trône au dessus du savon, accroché au mur. Son image elle la connaît bien assez, un peu trop. Et cette soirée est justement parfaite pour ne pas s'en soucier.

Une femme sort d'un autre cabinet. Et cette image, Sera la connaît tout aussi bien presque autant que la sienne. Elle avait passé la nuit entière à l'apprivoiser, à lui imaginer mille et une vies, à l'observer. Ça lui faisait du bien, elle sentait moins le poids de la solitude avec une femme qui est emporté dans le même rythme qu'elle. Seule, devant son écran de télé. La même silhouette, le même mouvement de hanche et le regard, d'un bleu vacances. La chaleur de son teint pourtant pâle comme une poupée de porcelaine, et la lumière de ses cheveux. Gialla.

Les deux femmes restent passives. Comment réagir ? Après tout elles ne se connaissent pas, ne serait-ce que par l'image, les projecteurs et les médias. Et les rumeurs. Ces paroles sans cœur dépourvues d'honneur.

Elles se retrouvent comme figées face à une étrangère si familière. Elles connaissent les confidences l'une de l'autre sans jamais s'être parlé. Les journalistes ont de l'encre et de la salive pour deux. Leurs goûts, leurs atouts, elles savent tout mais qui sont-elles réellement ?Deux femmes emportées dans le tourbillon de la vie mais surtout du métier.

Parce qu'après s'être regardées aussi longtemps, il faut trouver quelque chose à dire au risque de se souvenir à tout jamais de ce malaise partagé. Mais partagé juste à deux, pour une fois. Pas de photographes pour immortaliser ce moment ni de fans ou de producteurs, juste deux cœurs innocents. Le premier moment qu'elles partagent réellement, sans paillettes ni deguisements.

-- Salut, dit Sera en se concentrant sur sa voix. Il ne faudrait pas qu'elle laisse échapper une faille, un tremblement qui la trahirait. C'est plus dur à gérer que face au public. Les plus grands spectacles arrivent peut-être en coulisses après tout.

-- Salut, répond Gialla dans le même état.

-- Ça va ?

-- Oui et.. et toi, se reprend Gialla, hésitante.

-- Ça va merci. Au fait j'aime bien ce que tu fais, lance la chanteuse.

Les joues de Gialla se couvrent d'une poudre écarlate. Sera sourit.

-- Merci beaucoup, moi aussi j'adore ce que vous faites.

-- Bon je retourne auprès des autres. A plus.

-- Salut.

En réalité, elles auraient pu discuter des heures. De tout de rien, du métier ou d'un refrain. Mais elles ne l'ont pas fait. Par timidité, par pression. Elles en rêvaient. Pouvoir parler à quelqu'un de ce tourbillon sans fin. C'est seulement après coup qu'elles ont l'impression justifiée d'avoir oublié de se dire un tas de choses.

Les deux jeunes femmes se joignent chacune a leur équipe. Ignorant l'existence l'une de l'autre. Cachant à leur collègues, la présence de la concurrence dans la même salle dans laquelle ils mangent. C'est plus dure que prévu de faire comme si de rien n'était. Elles viennent de briser un premier mythe qui consistait à dire qu'elles ne s'adressaient jamais la parole. Encore moins pour se complimenter.

La soirée tourne à la mission discrétion. Regards lancés, croisés, dont seules les deux concernées en connaissent l'existence. Elles ont la sensation de retourner en enfance lorsque les parents ne doivent rien savoir du jeu de leurs enfants qu'ils gardent précieusement à travers un échange de regards complices.

Sera n'attend qu'une chose, retourner aux toilettes, que l'image de Gialla se reflète à nouveau dans ce miroir. Elle sait que la soirée est loin d'être terminée alors elle laisse passer une heure avant de retourner aux toilettes en espérant de toutes ses forces que sa complice ai la même idée qu'elle.

Une heure dans laquelle elle trépigne d'impatience, ne tient plus en place. Dans laquelle elle se surprend à rêver, et à ne plus rien écouter de ce que les autres disent. Stéphane en vient à la reprendre plusieurs fois tandis que Georges la charie s'en qu'elle ne s'en aperçoive. Elle a bien mieux a penser. Un jeu entre deux femmes qui vivent la même chose, deux femmes qui peuvent se comprendre tellement mieux que n'importe qui. Un jeu qui la ranime, qui rallume la flamme de cette chanteuse passionnée.

Un lien interdit, par les producteurs, par les articles de magazines, par les fans et par tous ceux qui y trouvent quelque chose à dire. Un lien interdit par le monde. Un lien si enivrant, troublant, excitant. Un lien aux allures noirs et blancs comme à l'écran mais en mieux.

Sera se lève, ne répond pas à ceux qui lui demandent où elle va si bien qu'ils pensent qu'elle va se faire vomir. Ce n'est pas le cas. Elle joue, enfin insouciante, en cachette. Elle ajuste sa robe noire moulante et se rend aux toilettes.

Elle prend soins de prendre son sac afin de pouvoir arranger son rouge à lèvre dans le grand miroir. Elle ne le fait jamais, sauf ce soir, et pas pour n'importe qui.

C'est tellement plus sexy de vérifier que rien ne déborde de ses lèvres plutôt que de faire son entrée avec une chasse d'eau en arrière plan, pour musique.

Face à elle même, la chanteuse se trouve soudain bête. Elle a passé l'âge pour ces bêtises. Mais il n'y a pas d'age pour que cette bêtise se transforme en chance. La porte s'ouvre sur Gialla.

-- J'ai fais de mon mieux pour qu'ils ne s'aperçoivent de rien ! Annonce Gialla, désolée de ne pas l'avoir rejoint tout de suite.

-- Il ne faut pas éveiller les soupçons, ajoute Sera, dotée d'un nouveau souffle.

En public ou en coulissesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant