En public ou en coulisses

Chapitre 5 (réécrit)

Quatre mois se sont écoulés. Nos deux chanteuses, dans la course du métier, se sont perdues de vues et quelques fois retrouvées. En coup de vent. Ce n'est pas faute d'avoir lancé des regards suppliants pour voler quelques instants d'intimité au détour d'une loge. Ou plus communément, d'un café.

Malheureusement pour leur amitié, elles étaient toujours trop entourées pour pouvoir s'arrêter et discuter pour démonter le rythme effréné qui leur est imposé. Mais durant cette période, leur désir de se voir n'a fait que grandir à leur grand désespoir. Seulement, dans un mois c'est Noël et dans un mois, en l'honneur de ces fêtes de fin d'année, le music-hall s'accorde une semaine de vacances.

Sera s'est mise en tête qu'elle ne passera pas ses vacances seule, elle a une personne qu'elle aimerait convier en particulier. Une personne avec laquelle elle rêve de s'entretenir en tête à tête. Peut-être pas le 24 décembre puisque ce jour est réservé uniquement à la famille mais les autres jours rien n'empêche les deux jeunes femmes de se voir.

En attendant elle assurera des shows avec une volonté nouvelle dont elle ignore la source. Et Gialla fera de même.

Nous sommes le 22 décembre 1963, le temps du repos pour ces travailleurs acharnés, bêtes de spectacle.

Les équipes s'eparpillent dans les différentes allées enneigées de Paris. Par delà le boulevard des capucines. Tout est blanc. On voit à peines les silhouettes s'engouffrer dans cet épaisse atmosphère d'hiver. Chacun rentre chez soi que ce soit en province ou à Paris.

Pour Sera c'est Montmartre. Le quartier des artistes. Elle aussi a succombé au charme de cette ville qui vamp les gens remplis de rêves. C'est redoutable.

Elle a dans son long manteau de fourrure noire, le numéro de celle qui occupe ses pensées. Elles se sont échangés leur fixes lors d'une rencontre clandestine après une énième émission. D'ailleurs c'est la seule fois où elles ont faillit se faire prendre.
Au cas où.

Leur relation restait excitante et elles ne lacheront pas l'affaire temps qu'elles n'auront pas consummé cet interdit dans sa totalité.

Sera ouvre la grille de son jardin, longe l'allée recouverte d'un duvet blanc et pousse sa porte, satisfaite.

Elle ôte immédiatement ses bottes laquées noires, et son manteau en prenant soins d'extirper le bout de papier qui l'intéresse.

Quelle idiote !

Le papier n'a pas été épargné par la neige, et le dernier chiffre est complètement illisible.

Elle monte dans sa chambre en s'accablant. Pourquoi n'a t-elle pas fait plus attention à ce petit trésor.

Elle ne retire pas ses habits et se votre sur son lit aux revêtements roses poudrés. A plat ventre, elle tend le bras pour attraper le fixe et effectue soigneusement les bons numéros. Le dernier c'était quoi ? La bavure ne laisse pas transparaître le numéro qui se cache sous cette tache d'encre maudite.

Vingt-quatre ? Vingt-huit ?

Ça y'est ! Vingt. Elle s'en souvient maintenant, elle avait observé la rondeur de ses chiffres et se souvient du dernier.

Elle souffle un coup. Ne se demande pas si c'est judicieux d'appeler son amie maintenant ou même de l'appeler tout court. Elle se lance.

Des bip.

Au bout du quatrième, une voix chaleureuse mais agacé répond.

-- Allô ?

-- Salut, c'est Sera.

Elle n'a pas besoins d'en dire plus que l'agacement de la voix au bout du fil s'évanouie. Comme si elle venait de prononcer un mot magique.

-- Oh ça va ? Je suis contente que tu appel ! J'avoue que j'y songeai mais je n'avais sans doute pas ton courage.

-- Je voulais juste te dire que si tu as envie de passer, demain par exemple, ça me ferait plaisir. On a pas vraiment eu l'occasion de bien discuter donc...

-- Avec plaisir ! A quel heure demain ?

-- Pour dîner ? Ça te va ?

-- Oh je suis désolée, demain je dîne avec un ami. Mais pour midi c'est bon ?

Sera se voit obligée de dissimuler sa petite déception, elle préfère à tout, l'ambiance romantique d'un soir d'hiver.

-- Oui pas de soucis. A demain alors.

-- A demain. Bisous.

Gialla a déjà des rêves pleins la tête. Enfin. Cette invitation est comme un cadeau de Noël en avance.

Un problème se pose. Comment ne pas se faire repérer dans les rues ?

Les pensées fusent pour les deux jeunes femmes, comment dormir à présent ?

Sera se trouve tellement fière de s'être offert ce si beau présent.