Chapitre 4 : la princesse

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La panique régnait à Porte Noire. Tout le bâtiment bruissait d'une effervescence désespérée. On donnait des ordres dans chaque bureau et on signait des mandats de perquisition à la hâte. Des suspects innocents se faisaient déjà interroger à coups de gant de fer alors que partout agents en civil et unités de la garde allaient et revenaient, certains avec des informations et d'autres sans. Personne n'était assis, pas même ceux qui épluchaient de la paperasse. La fatigue marquait les visages. On limogeait, on félicitait et on réprimandait beaucoup.

Deux étages sous terre, l'atmosphère était au recueillement. Au centre d'une grande salle d'autopsie se trouvaient deux hommes, immobiles dans un silence de glace. Ils se tenaient de part et d'autre d'une étrange machine.

Elle avait la forme d'un brancard d'où partaient une multitude de bras mécaniques pourvus d'outils chirurgicaux acérés. Au milieu de ce robot arachnéen reposait une jeune femme au teint cadavérique. Elle était belle, même dans la mort. Ses cheveux d'un blond venytien avaient été soigneusement écartés de son visage. Ses lèvres violettes et fines ne s'affaissaient pas encore. Cela lui donnait cet air insouciant que ses paupières closes accentuaient davantage.

Cao jeta un bref coup d'œil à son ami. Il aurait voulu parler, mais il y avait trop et finalement rien à dire. On venait d'assassiner Sa Distinguée Felicitiea, la princesse gardienne des douze Sceaux de Venyce. Elle se trouvait étendue là avec son visage juvénile, et c'était comme si elle emportait dans sa mort l'innocence de cette ville.

Soudain, l'autre homme brisa le silence. Il le faisait toujours avant Cao, une vieille habitude entre eux.

— J'ai peine à voir sa jeunesse éternelle se faner. Ses sourires discrets me faisaient oublier la discorde qui hante les murs de ce monde.

Il portait la tenue élaborée des aristocrates de la vieille école : un pourpoint impeccable surmonté d'une collerette démodée avec des chausses de couleurs vives. Il avait de plus, pour cette occasion, enfilé par-dessus tout cela l'incontournable blouse blanche de médecin légiste.

Cao accrocha le regard de son ami.

— La discorde, voilà bien le pouvoir du diable, Ciristio. Il nous faut découvrir au plus vite lequel de ses sbires a frappé, car la contagion est malheureusement déjà dans le sang. La fin des guildes annonce le début du festin pour les charognards...

Toujours droit au but, la tête froide et l'esprit calculateur. Voilà pourquoi il était le chef des services de sécurités de Sa Seigneurie le cardinal.

— Crois-tu que nous ayons bien fait ? (Ciristio grimaçait, le doute se lisait sur son visage.) Créer cet être de chair et d'éther en liant sa vie à la descendance des guildes, n'y avait-il pas méthode plus sûre ?

— Tu sais bien que les guildes sont nées de l'aristocratie. Chez elles, le pouvoir se passe et se perpétue par le sang. La seule façon de les maintenir sous notre contrôle consistait à placer une lame sur la gorge de leurs fils. La princesse nous servait d'otage sacré ; en cas de rébellion, le Saint siège l'exécutait, ce qui assurait leur chute. Personne n'avait intérêt à ce que cela arrive et nos ennemis extérieurs n'ont jamais été assez forts pour réaliser un tel exploit.

— Du moins, jusqu'à aujourd'hui. La dame est tombée, voilà l'incontestable fait, murmura le vieil aristocrate. Tout l'échiquier politique menace de la suivre. Les pions vont avancer contre leur propre camp, les cavaliers se dévorer entre eux et les fous tirer au hasard dans la foule.

Cao acquiesça gravement. Son regard sombre était déterminé.

— Avec l'aide de Dieu, je ne laisserai pas une seconde Grande guerre éclater, devrais-je réduire la moitié de la ville en cendre. « Un dieu pour une nation, une terre unifiée à son amour et à sa gloire », récita-t-il.

Novus Ordo - Venyce tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant