Chapitre 33 : l'antre du Constructeur (quatrième partie)

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Le vieil aristocrate soupira. Dix jours, ce n'était vraiment pas confortable pour le travail qui l'attendait. Il s'empara de la feuille et y scruta le sceau. On y voyait une telle beauté, une telle complexité qu'il se surprit à penser que les œuvres du diable rivalisaient étrangement avec celles de Dieu. Leur différence, après tout, ne résidait que dans le but à atteindre ; l'un cherchait à se nourrir de souffrance quand l'autre ne s'alimentait que d'amour. Leurs armes étaient les mêmes, pas leurs intentions. Une binarité du monde présente depuis l'âge du temps.

Le temps justement. Il sortit une montre à gousset. Onze heures, quatorze minutes et exactement trente-quatre secondes. Il la fit disparaître et c'est là qu'il sentit une présence inconnue dans la pièce. Il se retourna lentement et ce qu'il découvrit le glaça d'effroi.

Un petit sourire au coin, c'était son exacte copie qui le regardait. Ciristio mit une main sur sa bouche, incapable même de crier. L'autre parla et ce fut avec sa propre voix qu'il dit :

— Bonjour, Constructeur.

Le vieil aristocrate ne bougea pas d'un cil.

— Vous savez sans doute ce que je suis, n'est-ce pas ?

Il arriva à acquiescer en avalant difficilement. Vittorio s'approcha lentement.

— Alors vous savez de quoi je suis capable.

Il s'assit nonchalamment sur le bureau et s'empara de la feuille sur laquelle était imprimé le sceau. Il le regarda un bref instant avec nostalgie.

— Je ne suis pas venu ici pour vous tuer. Non, ma raison en ces lieux concerne exclusivement ce bout de papier. Néanmoins, j'aurais une requête à vous faire.

— Quelle est-elle ? murmura Ciristio.

Le polymorphe le regarda droit dans les yeux.

— Je voudrais que vous...

L'autre venait de s'élancer vers le coin opposé du bureau. Il pressa un interrupteur. Vittorio se désola, légèrement irrité :

— Ah, vous n'auriez pas dû faire ça.

Il reposa la feuille et se dirigea vers le vieil aristocrate d'un pas menaçant. Avant qu'il n'ait pu l'atteindre, une force prodigieuse le plaqua au sol. Il eut tout juste le temps de réaliser une illusion de la chair afin d'esquiver une longue lame effilée qui se planta dans le parquet.

Au-dessus de lui se tenait un automate de forme humanoïde, renforcé de plaques d'aciers. On ne distinguait aucun de ses circuits ni aucun de ses moteurs, mais il était armé de deux bras tranchants. Vittorio n'avait jamais vu une telle chose et en fut très surpris. Il se remit debout et la machine attaqua. Les lames fendirent l'air et il les esquiva sans difficulté. La concentration du prédateur découvrant une nouvelle proie se lisait dans son regard.

Pourtant, l'automate se montra plus dur à approcher que prévu. Ciristio l'avait conçu dans ce but. Il regardait le combat s'éterniser avec un sourire satisfait sur les lèvres. Le temps jouait en faveur de son assassin mécanique. Au début, il essaye de prendre son adversaire par surprise. Puis, lorsqu'il voit que cela devient impossible, il reste sur la défensive. L'adversaire, bien sûr, le croit stupide ou défaillant et attaque, mais la machine enregistre tout jusqu'à repérer un schéma. Elle l'analyse et y trouve la faille. Elle frappe ensuite une deuxième fois, toujours la bonne.

Vittorio s'essoufflait. Il fronçait les sourcils, signe d'une intense concentration et d'une frustration grandissante. Il tenta une énième botte, puis une autre, en vain. Enfin, son visage s'éclaira. Il esquiva sur la droite, roula sur le sol en cachant son visage avant de se relever. L'homme qui se tenait devant l'automate avait changé. Il était bien plus jeune et plus joufflu. La machine hésita. Ses rouages cliquetèrent un instant puis elle se rua sur lui avec une brutalité toute mécanique. Vittorio comprenait qu'elle devait recommencer sa mémorisation à chaque fois et cela la poussait à attaquer en aveugle. Il se métamorphosa encore et encore jusqu'à voir une ouverture. L'automate venait de rencontrer du vide et était déjà en train de retirer son bras. Ce fut néanmoins suffisant pour le polymorphe. Il sauta en l'air, passa sur le côté de son adversaire et, la main en pointe acérée, lui transperça la tête de part en part. La machine se figea, ses rouages se bloquèrent et elle demeura debout, aussi immobile qu'une statue.

Novus Ordo - Venyce tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant