Chapitre 6 : entre quatre yeux (deuxième partie)

56 8 14
                                    


L'officier se présenta :

— Je suis l'inspecteur Montineti. C'est moi qui suis en charge de votre dossier. Vous êtes en ce moment incarcéré au BCI, le Bureau Central pour les Interrogatoires. Vargus, appela-t-il.

Le bourreau lui passa le papier. Montineti l'inspecta un bref instant puis reporta son regard sur le prisonnier.

— Bien... Vifaletti, c'est ça ? J'ai comme l'impression que vous vous trouvez en forte mauvaise posture. Nous allons avoir une longue discussion et je veux que votre franchise soit sans faille. Comprenez-vous que ceci est une condition sine qua non au bon déroulement de cet interrogatoire ?

Ses yeux gris clair, durs comme la pierre, se plantèrent droit dans ceux du Sans-Nom. Ce dernier détourna rapidement le regard. Il devait rester fidèle à son rôle de marchand dépassé par la situation.

— Je n'aime pas utiliser la violence à outrance, avertit l'inspecteur. Toutefois, je n'hésiterai pas à en abuser sur vous à la moindre parole félonne sortant de votre bouche.

Le Sans-Nom hocha vivement la tête, l'air apeuré. Montineti fit quelques pas dans la pièce, le regard sur la feuille qu'il avait en main, puis revint au prisonnier.

— Comment connaissez-vous Sa Seigneurie le cardinal ?

Le Sans-Nom montra un masque d'humilité.

— Oh, comme les gens de ma condition, monsieur, par sa réputation extraordinaire et tout le bien qu'il fait à cette ville.

L'officier se remit à marcher.

— Donc, à ce bal, vous étiez invité par une connaissance proche de Sa Majesté, je présume ?

— Effectivement.

Il le fixa de nouveau.

— Puis-je savoir laquelle ?

Sa couverture était de qualité, il pouvait donc répondre en toute sûreté :

— Je corresponds avec une jeune femme du nom de Fiona. Fiona Scarcini. C'est une très bonne amie et, ayant l'honneur de côtoyer pareil gens de bonne éducation, je lui fus extrêmement reconnaissant de m'avoir invité à cette réception exceptionnelle. Mais voilà que je me retrouve ici à souffrir le martyre. C'est à n'y rien comprendre. Monsieur, vous qui êtes galant homme, donnez m'en la raison.

Montineti écrivit consciencieusement le nom sans broncher. Il était difficile de savoir ce qu'il avait en tête.

— Avez-vous une adresse à me donner ?

Le Sans-Nom joua la partie classique de la liaison secrète.

— Ma fois, non, se désola-t-il. Voyez-vous, c'était compliqué. Elle n'était plus un cœur à prendre et c'eût été un désastre si l'affaire venait à se savoir... Enfin, vous voyez bien ce que je veux dire...

— Oui, oui, le coupa l'officier. Une relation qui devait rester discrète et donc en dehors du domicile conjugal.

Le Sans-Nom sourit intérieurement ; l'inspecteur tombait dans le panneau.

— Vous me prenez pour un demeuré ?! Le coup de la liaison secrète, vous n'avez pas plus original ?

Ah, non, en fait. Apparemment, ils n'engageaient pas que des débiles profonds à Porte Noire. Merde.

Vargus s'avança d'un pas, un sourire cruel sur le visage. Son crâne luisait sous la faible lumière et ses yeux jaunes trahissaient son impatience.

— Écoutez, je ne suis pas sûr que je puisse...

Le bourreau venait de lui donner un coup de poing au plexus, envoyant son dos par la même occasion se fracasser contre la barre de fer. Une douleur sourde l'envahit et son cri se répercuta sur les murs de la pièce. Il se reprit.

— D'accord, d'accord, arrêtez cela, je vous en prie.

Il cambra à nouveau le dos, les muscles en feu. Les deux autres attendaient qu'il parle.

— J'ai acheté une invitation au marché noir, je le confesse. Mes affaires vont mal et j'avais besoin de trouver des investisseurs de qualité. Je regrette terriblement mes actes.

Montineti consigna le tout sur la feuille et Vargus redonna un grand coup au prisonnier, dans le ventre cette fois. Bordel d'enfoiré ! cracha-t-il entre ses dents afin que personne ne l'entende. Il lui était impossible d'éviter cette maudite barre de métal. Le bourreau allait continuer, mais l'officier l'arrêta.

— Vargus, cela suffit !

Il s'arrêta avec la précision d'un automate. Montineti approcha son visage, si près que le Sans-Nom sentit son haleine de vin bon marché.

— Des investisseurs de qualité, vraiment ? Est-ce que la princesse gardienne des Sceaux, Sa Distinguée mademoiselle Felicitiea en faisait partie ?

Le Sans-Nom sursauta. Qu'est-ce que cela venait faire dans cette histoire ? Il eut un terrible pressentiment.

— Je... Non, bien sûr que non. Je ne saurais faire honneur à pareille splendeur.

— Que faisiez-vous donc en sa compagnie une chambre du palais ?

Son regard ne le quitta pas et le cœur du Sans-Nom explosa dans sa poitrine à l'entente de la nouvelle. Bon sang, c'était donc ça ! réalisa-t-il, médusé.

La scène lui revint en mémoire : le corps en sang dans une luxueuse chambre mise à sac, des Protecteurs-mécaniques sans vie. La princesse gardienne des Sceaux était morte... Par l'Archange, se dit-il. La régente de la paix sur la cité n'est plus, la guerre des guildes va recommencer et cette fois la ville ne survivra pas. La Grande guerre...

Le monde venait de basculer, pourtant le Sans-Nom ne voyait que sa défaite ; il allait se faire pendre haut et court pour le pire des crimes alors qu'il était innocent. Ce maudit Scorpion s'en tire une fois de plus !

La rancœur le submergea et il voulut hurler sa rage. Il en avait le vertige alors que des souvenirs cauchemardesques lui giflaient l'esprit. Elle lui avait tout pris ! Il serra les dents, il devait se reprendre coûte que coûte. Respire bon sang ! s'ordonna-t-il. Il retrouva l'usage de la parole juste à temps pour ne pas se trahir et prit un air désemparé.

— Comment ?! Je ne savais même pas que je me trouvais en sa présence. On m'avait saoulé et je pense que j'ai dû arriver là de manière tout à fait fortuite.

Il leva les yeux vers l'inspecteur.

— Mais... oh, mon dieu. Va-t-elle bien ? Lui ai-je fait quelques avances déplacées dans mon état éthylique ?

Il baissa la tête, honteux.

— Si j'ai pu déshonorer d'une quelconque manière le rang ou la pudeur de Sa Distinguée, j'en assumerai toutes les conséquences.

Montineti le jaugeait. Il se releva et fit quelques pas en jouant avec son crayon.

De son côté, les pensées du Sans-Nom défilaient à toute vitesse. Qui était assez fou pour vouloir une autre guerre des guildes ? Personne, dans aucun des cercles de pouvoir connu, n'avait intérêt à retourner la cité. Cela n'avait pas de sens ! À moins que ce soit l'œuvre d'une puissance étrangère ? Fallait-il chercher du côté des îles de la bordure ou du Nord-au-Monde ? Quel rôle avait joué précisément le Scorpion dans l'affaire ?

On chargea un assassin de l'Archange de l'éliminer le jour où elle accepta un contrat d'assassinat sur un membre influent de la guilde. Il avait non seulement échoué, mais en plus la tueuse l'avait manipulé. Il se corrigea : elles l'avaient manipulé. Qui était cette Amilia qu'à aucun moment de sa traque il n'avait aperçu ? Malheureusement, il n'eut pas le temps de s'appesantir plus longtemps sur ses réflexions.

Merci pour ta lecture, courageux lecteur-aventurier/courageuse lectrice-aventurière ! Si ce chapitre t'a plus, n'hésite pas à le liker pour lui donner plus de visibilité :) Tu peux aussi me donner tes impressions de terrain en commentaire pour m'aider à améliorer mon histoire ;) Ces jungles sont profondes, prends garde à toi et bonne continuation pour la suite de cette aventure !

Novus Ordo - Venyce tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant