Chapitre 14 : la créature (troisième partie)

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Sur leur gauche surgit l'imposante maison de commerce de Riggia. Ses balcons et ses fenêtres richement décorés donnaient un avant-goût du luxe des cabinets de banquier et des chambres de négociation qu'elle abritait. De plus, la vue qu'elle offrait sur la place de l'église était incomparable.

Tout gentilhomme aisé digne de ce nom possédait un compte ou des avoirs chez Riggia. Leur réseau de contacts s'étendait dans tout le continent et jusqu'aux îles de la bordure. C'étaient les banquiers les plus sûrs de tout Venyce ainsi que l'une des cinq familles les plus fortunées de la cité.

Haziel ne se trouvait plus qu'à quelques mètres de la créature quand soudain, elle disparut sur un toit inférieur. Son instinct lui désigna la maison de commerce de Riggia et il bifurqua sur sa gauche. Il se félicita de son bon jugement lorsque quelques instants plus tard, il se relevait de sa roulade pour la voir défoncer une porte de service menant à l'intérieur de l'édifice. Il jura. Elle ne perdait maintenant plus de sang et semblait reprendre des forces.

Il se précipita à sa suite et se retrouva dans un escalier en colimaçon à la rambarde finement forgée. Les pas de la créature indiquaient qu'elle montait et le capitaine s'empressa d'avaler les marches. Elles le menèrent sous les combles de la maison où une fenêtre donnant sur le toit était ouverte. Il vit la créature disparaître dans le vide. Il constata bientôt qu'un câble reliait les combles à la terrasse de la cathédrale. Par l'enfer, pesta-t-il, cette chose a de la ressource.

Il regarda en bas et contempla toute la place que seuls occupaient des pigeons. D'en haut, ils paraissent aussi minuscules que des grains de sable et les deux ou trois fiacres stationnés à côté des trottoirs avaient la taille de jouets. Haziel craignait le vide, mais se moquait de ses peurs. Il prit le câble fermement entre ses mains gantées de métal et se jeta de la fenêtre.

Il atterrit lourdement. La créature commençait déjà à monter sur l'un des arcs-boutants.

Le capitaine fronça les sourcils. Il se serait attendu à ce qu'elle essaye de gagner la terre ferme, au lieu de quoi elle se dirigeait vers le clocher où il n'y avait pas d'issue. Mais peut-être cherchait-elle à l'amener sur son propre terrain.

— Pas de ça avec moi ! tonna-t-il.

Il s'empara de son arbalète et vérifia que la flèche hypodermique se trouvait correctement logée dans son guidage. Puis, il mit sa cible en joue et vida ses poumons. Il bloqua sa respiration. Un, deux, trois, compta-t-il. Et il tira. Le carreau fila parfaitement droit pour finir sa course légèrement courbée dans la cuisse de la créature. Celle-ci se retourna vivement puis tomba, six mètres plus bas sur la terrasse.

Le capitaine s'approcha alors lentement du corps inerte qui gisait au pied du clocher. La chose ne paraissait plus être en mesure de s'enfuir. Le carreau hypodermique s'était cassé dans la chute et du sang recommençait doucement à couler. L'épée diamant devant lui, il tendit les doigts pour sentir le pouls de l'assassin. Un faible battement lui confirma le succès de la mission. Cela lui tira un sourire satisfait.

— Avec l'aide de Dieu, jamais défait, récita-t-il en faisant le signe de la croix sur sa poitrine.

La grande rosace les dominait de toute sa taille et le soleil se reflétait en arc-en-ciel dans ses beaux vitraux. Cette scène était un véritable chef-d'œuvre. Il avait fallu plus de sept années de travail pour en venir à bout et le résultat avait dépassé toutes les espérances. Les détails époustouflants paraissaient prendre vie, les nuances subtiles émerveillaient l'œil.

Haziel se tourna. L'horizon se déroulait devant lui et les toits des quartiers de la Bel Fiore ressortaient plus ocre que jamais sous la chaleur d'un soleil presque à son zénith. Le clocher n'allait pas tarder à sonner. C'était une belle journée.

Il s'autorisa quelques secondes de relâchement. Il s'étira et se massa le bras. Son corps était douloureux, mais rien de pire que ce qu'il avait déjà connu. La satisfaction d'avoir gagné atténuait la douleur.

Pourtant, le dos tourné, il ne vit pas l'énorme erreur qu'il commettait. Un frottement presque imperceptible vint tinter à ses oreilles et il eut juste le temps de se retourner pour voir la créature lui ceinturer la taille avec l'élan d'un bélier rendu fou. Projeté en arrière, il passa à travers la rosace, détruisant un joyau de Venyce, son adversaire au corps. Alors qu'il tombait dans le vide, tout devint flou et c'est à peine s'il en eut conscience lorsqu'il atterrit sur un plancher poussiéreux.

On restaurait ce côté-ci de la cathédrale et Haziel venait de chuter sur un échafaudage. Le souffle coupé, il parvint cependant à prendre la créature par le cou et à bloquer son bras alors qu'elle tentait déjà de lui enfoncer l'un de ses poignards diamants dans la tempe. Elle se débattit et il lui mit un puissant coup de poing dans le visage. Elle répliqua en lui entaillant le biceps à travers son armure. Haziel cria de douleur. Son sang se mélangeait à celui de la chose. Le temps manquait. Il s'empara de son couteau de combat et frappa. Touchée, la créature ne s'obstina pas. Elle sauta de l'échafaudage avec la vivacité d'un serpent pour disparaître dans l'ombre.

Le capitaine se releva, le corps encore engourdi par le choc. Il chercha sa proie du regard, mais ne la trouva pas. Par tous les Saints... Il descendit avec l'intention de la débusquer. La porte n'avait pas été ouverte, ce qui voulait dire que la chose se trouvait encore ici. Du moins, c'est ce qu'il crut. Car il eut beau chercher, il dut se rendre à l'évidence ; elle s'était évaporé tel un démon dans la brume. Quelques instants passèrent encore avant qu'il ne réalise vraiment. Sa mâchoire se serra, tous ses muscles se bandèrent, puis sa rage éclata.

— Que je sois maudit ! hurla-t-il. Que je sois maudit pour l'éternité !

Hors de contrôle, il prit un banc parmi la bonne centaine qui se trouvait là et le fracassa contre un mur. Incapable de se calmer, il en fracassa un autre, puis encore un autre. Cette rage, il ne l'avait jamais connue et maintenant elle l'aveuglait complètement : la rage de l'échec.

Merci pour ta lecture, courageux lecteur-aventurier/courageuse lectrice-aventurière ! Si ce chapitre t'a plus, n'hésite pas à le liker pour lui donner plus de visibilité :) Tu peux aussi me donner tes impressions de terrain en commentaire pour m'aider à améliorer mon histoire ;) Ces jungles sont profondes, prends garde à toi et bonne continuation pour la suite de cette aventure !

Novus Ordo - Venyce tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant