Chapitre 3 : tel est pris qui croyait prendre (troisième partie)

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— J'ai vu le regard que vous lanciez à cette femme, minauda-t-elle, un reproche à peine dissimulé dans la voix.

Il tenta de se dégager, mais elle se coula contre lui.

— Je pense que vous y perdez grandement au change.

Ce contact soudain réveilla en lui de vieux reflexes et il lutta pour ne pas lui briser les poignets.

— Veuillez m'excuser, mais j'ai à faire, répondit-il d'un ton froid.

Elle se renfrogna, surprise par le changement d'attitude de son cavalier. Il la repoussa gentiment, mais fermement.

— Bonsoir, madame.

Ses yeux lançaient des éclairs, elle était furieuse. Alors qu'il se retournait pour ne pas perdre sa cible des yeux, elle prit son visage entre ses mains et l'embrassa. Plus rapide qu'un serpent, le Sans-Nom la saisi à la gorge.

Amilia laissa échapper un cri de surprise, étouffé par la poigne de l'assassin. Elle le griffa en essayant de le repousser et il relâcha sa prise tout aussi vite en maudissant ses habitudes de combat parfois trop efficace pour son propre bien.

— Co...comment osez-vous ?! protesta-t-elle sous le choc de l'agression.

Son visage empourpré trahissait de la peur. Elle voulut ajouter quelque chose, mais le Sans-Nom avait disparu.

Que l'Archange me maudisse ! se réprimandait-il. La belle l'avait distrait et il avait relâché sa vigilance. Il regardait autour de lui, il n'y avait plus aucune trace du Scorpion. Elle n'a pas pu aller bien loin.

Il continuait de chercher son ennemi du regard lorsqu'il manqua de tomber. Le vin épicé devait provenir d'un cru plus corsé que d'habitude. Il monta les escaliers, mais toujours aucune trace de la tueuse. Il s'accroupit et s'empara discrètement de sa lame contre sa cuisse. Il la dissimula dans sa manche, feignant dans un même temps de relacer son soulier. Lorsqu'il se releva, il faillit perdre l'équilibre. Sa tête tournait légèrement. Bon sang, qu'est-ce qui m'arrive ? Il se stabilisa et la sensation de vertige s'atténua. Pourtant, elle restait encore là, tapie. Il continua.

En tournant au coin d'un couloir, il aperçut du rouge. Ce fut bref, mais suffisant ; il la tenait. Il courut en se faufilant entre les convives qui lui lancèrent des regards consternés. Il savait sa manœuvre stupide, car prendre le risque d'attirer l'attention des Protecteurs-mécaniques déployés dans le palais était très dangereux pour un imposteur. Il ne pouvait cependant se permettre de la perdre de vue. Pas si près du but.

Il fût bientôt à l'angle de l'allée. Devant lui se dressait un couloir jalonné de portes numérotées ; des chambres pour sauterie entre gens bien nés. À mi-chemin, le Scorpion progressait d'une démarche pressée. Elle n'avait pas encore repéré son poursuivant. Il se remit à marcher.

Soudain, ça le reprit : un vertige violent. Sa vision devenait brumeuse et ses doigts engourdis. Il devait se tenir au mur, de temps à autre, pour ne pas tomber.

De toute évidence, on l'avait drogué et son expérience lui suggérait qu'il ne lui restait plus beaucoup de temps. Comment cela a-t-il pu arriver ? s'exclama-t-il intérieurement, furieux. Bon sang, je ne suis pourtant pas un débutant ! Il se sentait de plus en plus mal ou plutôt de mieux en mieux. Il avait l'impression de devenir très léger et chaque pulsation de son cœur était comme autant de caresses. Concentre-toi ! s'ordonna-t-il. Il ne devait lui rester que quelques minutes avec la force nécessaire pour tuer sa proie.

Il se rua en avant malgré son corps gourd. L'acier froid du couteau dans sa manche l'aidait à garder l'esprit un tant soit peu clair et il se mordit la langue pour tenir le coup. Il fallait qu'il tue ce maudit Scorpion. Par l'Archange, tu n'as pas encore gagné !

Il courut, trébucha en passant le coin du couloir. Ses vertiges lui faisaient oublier les lois de la physique. En une fraction de seconde, des bras fermes le plaquèrent contre le mur. Machinalement, il donna un coup avec sa lame. Une main de fer para l'attaque en l'empêchant de révéler son arme.

Le Sans-Nom reconnut le Scorpion d'abord à sa délicieuse odeur d'épice, encore accentuée par la drogue qu'on lui avait administrée. Elle l'embrassa fougueusement, ses lèvres écarlates, douces et chaudes contre les siennes. Ses bras le maintenaient fermement, un coude lui écrasait la gorge. De l'extérieur, ils avaient simplement l'air d'un couple passionné. La chaleur l'envahissait, ce baiser le transperçait de la tête aux pieds.

La tueuse le frappa ensuite au ventre et il gémit. La douleur le vida de ses forces. Très discrètement, elle lui subtilisa la lame avant de passer son bras autour de sa taille. Le Sans-Nom devait ressembler à un homme saoul en route pour une partie de jambes en l'air, ce qui lui convenait parfaitement comme dernière volonté.

Il riait et n'arrivais plus à penser. Quelqu'un rejoignit le Scorpion. Une silhouette familière, pâle et immaculée. Il écarquilla les yeux. Amilia, ou quel que soit ton nom, foutue salope ! ragea-t-il, incapable de contrôler son rire.

Il se remémora alors le moment où il avait perdu : un baiser pour le surprendre, ses doigts autour d'une gorge de porcelaine et des ongles enduits d'un poison quelconque qui le griffaient. Il avait été astucieusement manipulé. Comment le Scorpion avait-elle décelé qu'il la traquait ? Était-ce par une erreur de sa part ou le fait d'un traître ? L'Archange les brûlera tous dans les flammes de l'enfer ! se conforta-t-il. Pourtant, même sa haine s'effilochait, le monde se délitait en filaments duveteux.

Elles l'emmenèrent dans une chambre luxueuse où il découvrit que gisait, près d'une grande armoire, une jeune femme en sang. Il ne la distingua pas très bien, mais remarqua qu'elle était blonde. Il y avait d'autres corps aussi ; des Protecteurs-mécaniques. De leur armure aux rouages articulés suintait du sang visqueux.

Elles le jetèrent sur un lit complètement défait et il s'affala dans les draps. Le matelas était agréable, velouté même. Il perçut de petits rires.

Soudain, on lui retira souliers et pantalon. Le Sans-Nom essaya de résister, mais tout tournait autour de lui et il ne réussit qu'à émettre de faibles bribes incohérentes. Amilia vint à ses côtés en pouffant :

— Détendez-vous, monseigneur, on va bien s'occuper de vous.

Elle avait lancé « monseigneur » sur un ton ironique en faisant référence à sa fausse identité démasquée. Il présumait aussi que par « on va bien s'occuper de vous » l'empoisonneuse voulait dire « on va veiller à vous tuer de manière professionnelle : du sang, mais pas trop ». Il ne put retenir un grand éclat de rire et mit tout le défi qu'il pouvait dans son regard.

Il s'attendait à se faire ouvrir la gorge d'un instant à l'autre, mais c'est autre chose que les deux femmes avaient en tête.

Le Sans-Nom sombrait dans l'inconscience lorsqu'on s'approcha de son oreille. La voix douce du Scorpion lui souffla :

— Bonne chance, sanza nome. Tu en auras bien besoin...

La dernière chose qu'il vit fut cette robe rouge, brûlante et inoubliable.

Merci pour ta lecture, courageux lecteur-aventurier/courageuse lectrice-aventurière ! Si ce chapitre t'a plus, n'hésite pas à le liker pour lui donner plus de visibilité :) Tu peux aussi me donner tes impressions de terrain en commentaire pour m'aider à améliorer mon histoire ;) Ces jungles sont profondes, prends garde à toi et bonne continuation pour la suite de cette aventure !

Novus Ordo - Venyce tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant