#2: Tnémévys

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Titan...

Un jour, je serai titan et le monde se pliera à mes pieds.

Un jour, je conquerrai les terres qui me reviennent de droit et je marcherai aux côtés des dieux.

Un jour, je soumettrai les dieux et je me hisserai au-dessus de tout.

Mais chaque chose en son temps. Je ne suis qu'un roi, que celui qui mène une contrée de paysans faibles. Que l'éternité me protège; je finirai immortel. Prier est mon habitude, combattre est mon activité, diriger est désormais mon devoir et mon pouvoir. Le roi est décédé; longue vie au roi; mais la mort, je ne la craindrai jamais. Pourquoi avoir peur de son alliée? Je la sers déjà bien, mes offrandes sont nombreuses. Je lui en ferai d'autres. Bientôt. Il faut juste attendre que la porte s'ouvre.

Je me lève lentement de mon trône. Il est neuf, les travaux de cette salle ont fini hier. Je me souviens encore de ce double-battant qui s'est ouvert sur mon passage, laissant mon chemin déboucher sur cette immense pièce. J'ai caché mon étonnement; un roi ne doit pas montrer ce genre d'émotions. Le mensonge est mon ami, un vrai ami qui ne me trahira pas puisque je le contrôle. Les meubles occupent plus de la moitié de la place; c'est un décor représentant puissance, exotisme, force, richesse, travail, créativité, les illustrant mieux que n'importe quel tableau. Des lianes représentant l'Ouest pendent au plafond; en réalité, certaines activent des pièges mortels tandis que d'autres ouvrent des passages. Des feux parfois camouflés entre les ornements chauffent la salle en l'illuminant de mille et une couleurs, accomplissant toute une panoplie, tout ce qui est possible à une exception: le feu gris. Il existe du blanc pur, du blanc taché, du brun léger, du noir triste, du blanc et du noir mélangés, mais pas de gris. Le gris est une légende. Des gravures recouvrent le plafond, tandis qu'une peinture en relief inégalise le sol. Les murs sont invisibles derrière tant de décorations. Statues, parchemins, boucliers parsèment la salle. Mais jamais on ne peut voir un certain buste: le mien.

Je suis le roi.

Si l'on veut me voir, que l'on vienne.

Je suis moi et j'ai besoin de renforcer mon pouvoir. Qu'ils viennent, qu'ils me parlent, qu'ils me regardent dans les yeux. Ce trône m'appartient et cette salle aussi, à moi, et à personne d'autre. C'est là où je passerai la plus grande partie de ma vie avant de rejoindre les tout-puissants dans l'immensité des cieux, et je n'y irai pas en esprit mort. Je n'admirerai pas mon effigie à longueur de journée. Je tends la main, un esclave se hâte de venir y déposer une torche de feu rouge, d'un rouge écarlate comme le sang. Le petit homme se retire en s'inclinant devant moi. Je me tourne, toujours lentement, vers mon siège et contemple les deux trous emplis d'huile creusés au bout des accoudoirs. J'avance mon bras. L'huile se trouble légèrement, puis de plus en plus intensément, jusqu'à ce que la première flamme en jaillisse brusquement. J'entends le liquide de l'autre accoudoir clapoter, puis bouillir. J'aime voir la chaleur se propager jusqu'à tout enflammer. Mon bras s'écarte, l'esclave accourt pour reprendre la torche. Mon trône m'attend. Je m'y assois, toujours en prenant mon temps, et dépose tranquillement mes avant-bras à l'endroit prévu. Mes doigts frôlent presque les flemmes crépitantes. Sensation agréable. Mes deux mains sont mieux chauffées qu'elle le seraient devant une cheminée. Je relève mon bras gauche malgré mon envie de rester ainsi durant des heures et claque des doigts.

Je repose mon membre et attends. Ma patience n'est pas mise à l'épreuve, loin de là; mais ma hâte me dérange. J'entends des pas et des chaînes approcher derrière moi, une torche se consumer.

Puis enfin, le feu touche le dossier de mon siège.

Tout le haut de mon trône s'enflamme subitement, le feu avare de combustible se répend jusque derrière mes coudes. Le bois de Revii, calé entre deux morceaux d'acier trempé, flambe facilement et permet de contenir cette source de chaleur.

Maintenant, je suis la source de chaleur.

La source de lumière.

Le centre de ce monde miniature que sont cette salle et les misérables esprits trop influençables qui m'entourent au sein de la Cour. Trop simple. Je vais manipuler les plus faibles et je m'occuperai des plus forts avant l'hiver. Je vais gagner une partie, il me faudra gagner le jeu.

Le jeu du pouvoir.

Je ne connais pas les joueurs.

La porte s'ouvre enfin.

Lutte des DieuxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant