#16: Eiyanhas

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N.D.A.: Pas la peine de voter contre Tnémévys, son sort est réglé XD
Désolée pour le temps d'écriture...
Parfois, Wattpad me dit que j'ai publié aucune histoire, c'est lassant.

Jezneo n'a pas menti. La vue est magnifique. Depuis sa chauve-souris elfique, je sens le vent souffler dans mes cheveux. Loin en-dessous de moi se trouve une immense ville, bâtie d'une façon presque militaire; devant le château, de nombreux apprentis s'entraînent avec acharnement. Un Ghrones m'a interdit de regarder leurs jeux. Il m'a dit que j'étais trop jeune. Pourtant, Jezneo a le même âge que moi, et il est un Ghroni! Il ne veut pas verser dans la violence. D'après lui, de tout petits enfants jouent avec les grands. Ils voient beaucoup de sang. C'est normal pour eux de se blesser au combat; sinon, ce ne serait plus un entraînement. À force, ils guérissent vite. Jezneo n'arrête pas de se vanter d'être un Ghroni pacifiste et loyal; c'est amusant, alors je l'écoute. Mais maintenant qu'il m'a prêté sa chauve-souris elfique, il ne peut plus me rabattre les oreilles avec toutes ses bêtises, et je ne compte pas descendre de sitôt. Le ciel! Je vole dans le ciel, et je redécouvre la ville. L'infini devant, l'infini derrière, de tous les côtés, l'humidité des nuages proches, la chaleur du soleil, et plus encore dans la force de ma monture. Ses ailes translucides se teintent tantôt de bleu, tantôt de rose, laissant parfois la blancheur de la lumière s'y refléter faiblement. Ses oreilles en pointe me paraissent gracieuses, tout autant que lorsqu'il se déplace au sol.

Mais le vol est différent. Il est tellement plus beau, plus souple, plus agile que je m'y perdrais. Son corps fend l'air en bougeant au rythme de son vol, comme seuls les elfes paraissent en être capables. Ses épaules dégagent une force proportionnelle à son effort, assez répartie dans tous ses muscles pour qu'elle ait l'air négligeable. Et ses ailes, ce sont elles les plus fascinantes. Elles inculquent la vitesse à nos deux corps, comme le vent ferait virvolter les feuilles, en dansant dans les inégalités de l'air. Parfaitement coordonnées. Elles bougent en me rappelant la surface de l'eau, légèrement troublée mais toujours calme et limpide. Les ailes pourraient caresser la surface de cette eau, ce lac, cette rivière, cet océan. Parce que le monde est infini, parce que le ciel n'a pas de limite. C'est une valse, ou peut-être simplement un slow, tant ses gestes paraissent mesurés. Rien n'est calculé à l'avance. Nous avançons comme un père guidant son enfant sur le chemin de la vie. Je suis au début et cet animal me tient la main, en me chuchotant la direction à prendre. Je serais perdue sans lui; même pire: je ne serais rien. Rien qu'un enfant qui erre en ne trouvant que les restes de ceux qui ont bien vécu. Peut-être qu'un jour, moi aussi, je pourrai amener quelqu'un sur cette voie. Mais avant, je dois vivre. Je ne sais pas ce qui m'arrivera. De toutes façons, personne ne m'écouterait à mon âge, et je n'ai pas envie de m'expliquer. Je veux vivre, simplement, même si on me tue. La mort est trop horrible. Rester coincé dans un corps, sans aucune sensation physique, dans cette prison en attendant qu'elle disparaisse pour pouvoir s'enfuir, c'est presque intenable. Si je voyais quelqu'un lié de cette façon, je le jetterais aux loups pour qu'ils puissent le libérer. Ou je le brûlerais, mais le feu risquerait de s'épandre. Personne ne mérite cela. Je repense à l'être prisonnier de la glace. Y est-il encore? Je n'ai pas réussi à y retourner; un Ghrones m'a expliqué qu'il fallait posséder de la magie dans le sang, n'importe laquelle, pour pouvoir ouvrir la porte, alors que je m'y acharnais en vain. C'est lui qui m'a expliqué beaucoup de choses, le soir. Je n'arrive pas à retenir son nom, il est bien trop long pour moi, et ça l'amuse. Jezneo aussi m'a souvent parlée. Il est devenu mon ami tout de suite.

Mais je crois que, de tous les cadeaux qu'il m'ait offert, aucun n'est aussi grand que celui-ci.

Il m'a prêté sa chauve-souris elfique.

Je lui caresse la nuque; il semble apprécier.

-T'es un bon gros chat!

Je crois qu'il comprend une partie de ma phrase, ou mon intonation, car il se secoue en l'air. Je faux immédiatement tomber mais me rattrape de justesse; il déplie brusquement ses ailes, produisant un choc qui m'écrase à demi sur lui. Joyeux, il reprend de l'altitude, et c'est en me relevant que je le vis.

Lui.

Le guerrier qui était présent avec l'autre. Celui qui m'a regardée mourir sans broncher. Lui, l'insensible, l'égoïste. Est-il aveugle pour ne pas voir ce que fait son maître? Ce n'est qu'un esclave asservi, qui croit encore qu'il l'a fait de son plein gré pour de l'argent. Naïf. J'ai neuf ans, il en a peut-être vingt, mais il est naïf.

Et il est chez Khron.

Donc il est chez moi.

Et chez Jezneo.

Et il est dangereux.

-Rentre, soufflé-je à l'oreille de l'animal. Maintenant.

Je le sens nous pencher, puis tourner, en traçant une courbe parfaite. Magnifique.

Pas comme lui.

Je jette un dernier regard au guerrier. Il est trop loin pour que je puisse le voir, mais je sais où il est.

Regard dur.

Regard noir.

Brûlant de vie.

La monture pousse un cri strident et se redresse, se servant de l'air comme frein. Elle se pose sans difficulté, rapidement mais doucement. Jezneo accourt, touche le nez de sa bête et aperçoit mon visage.

-Qu'y a-t-il, Eiyanhas?

Sans répondre, je saute à terre avec une souplesse acquise au cours des derniers jours et passe la porte du château.

Il n'y a pas de garde. Des dixaines de Ghroni s'entraînent à côté.

Les couloirs me sont familiers. Je les parcours sans crainte. Je monte les escaliers en omettant certaines marches, sans manière ni fatigue; j'ai déjà retenu tout le plan de la forteresse en moins d'une semaine. J'aperçois rapidement la porte qui retient mon attention.

-Khron! crié-je en poussant le lourd battant.

L'entrée est surveillée par des liens magiques, certes faibles mais en contact direct avec un mage.

-Khron! répété-je.

A l'intérieur, cinq personnes se tournent vers moi; je m'en moque éperdument. Khron est assis, la tête entre les mains. Il n'a plus rien d'humain. Il n'a jamais rien eu d'humain. Sa puissance est réduite. Cela me procure un sentiment bizarre, de le voir ainsi dépourvu de sa force habituelle; l'on pourrait le comparer à un général, ou à un stratège, mais pas plus. Pas à celui qui effraie les seigneurs et rois jusque dans les confins des patries. Pas à celui qui côtoie les dieux.

-L'autre arrive!

Un mage fait un pas vers moi et je l'ignore. Khron inspire, puis lève les yeux vers moi. Le mage continue d'avancer.

Puis le noir envahit tout.

Le temps que mes yeux s'y habituent, la scène a complètement changé. La main du mage est figée tout près de ma tête, un Ghrones lui serre le poignet d'une force effrayante et appuie la pointe d'une lame contre son ventre. Deux hommes ont sorti de longs cristaux et les tiennent, comme prêts à les serrer de toutes leurs forces. Un homme a disparu. Une lourde épée est apparue dans la main du dernier. Un médecin regarde avec effroi, ou même avec angoisse, celui qu'il devait soigner.

Khron a figé la pièce.

Le Ghrones a obéi. Les hommes ont pris peur. Le médecin n'ose pas l'approcher.

Il a fait comprendre qu'il était le maître.

-Khron, l'autre est dans la ville.

Tous tournent les yeux vers moi, mis à part le Ghrones - le plus redoutable. Khron me lance un regard, et je comprends immédiatement.

-L'autre chien. Celui de...

Je me racle la gorge. Ce nom est dur à sortir.

-Celui de Tnémévys.

J'ai chuchoté. Mes yeux rivés sur le sol trahissent ma crainte.

-Dois-je y aller? s'enquiert soudainement l'homme à l'épée.

-Dis-lui que tu es un apprenti.

Il ravale son orgueil.

On ne discute pas avec le maître.

Pas lui, du moins.

Lutte des DieuxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant