Lutte des Dieux

#1; Æmilina

-Maman, pourquoi tu as peur des loups?

Sheyra soupire.

-Ils sont dangereux, ma petite. Ils pourraient te manger.

Des animaux? Mais les animaux sont gentils. Je n'ose pas répondre à maman. Elle est toujours tendue après avoir prié dans les bois, face à la pierre runique. Il vaut mieux ne pas lui répondre, c'est dommage. Je pense qu'elle n'y croit pas vraiment. Mais moi, si, et j'y croirai toute ma vie. Ils existent, là-haut dans le ciel, avec toutes les créatures surnaturelles. J'aime bien aussi les êtres que nous ne pouvons voir.

-Tu peux me donner mon livre? S'il te plaît? Il parle des dragons.

-Tiens. Mais lis-le en marchant, alors.

Maman me passe mon livre. J'ai appris à lire à cinq ans, donc il y a deux ans. Je m'assois sur la terre humide et commence ma relecture avec avidité. Maman s'arrête; elle semble en colère.

-Viens! crie-t-elle. Je t'ai déjà dit non!

Elle me tire par le bras gauche, mais je ne me lève pas. On est mieux sur le sol pour lire. Maman soupire encore. Je lève les yeux vers elle.

Puis elle me lâche. Brutalement. Mon bras retombe lourdement. Ses yeux sont grand ouverts. Sa bouche s'ouvre, se ferme, aucun son n'en sort. Ses traits sont tirés par la peur. Elle recule. Maman m'effraie. Heureusement qu'une douce fourrure blanche se frotte contre mon épaule, parce qu'elle m'assure beaucoup.  Sheyra regarde derrière moi. Peut-être qu'elle a peur de Johan, elle ne l'a jamais vu. Johan ne l'attaquera jamais, pourtant.  Maman hurle, tourne le dos et s'enfuit en courant. Je me relève rapidement. Pourquoi court-elle? Je ne le vois plus. Elle M'abandonne? Maman me... Me laisse? Dans la forêt?

-Attends, maman!

J'ai crié mais le son de ma voix se perd, j'ai peur pour elle. Les loups ne mangent pas les humains, sauf dans le sud et dans les films. Je me tourne vers Johan. Ses poils sont tout doux, j'aime bien aussi la longue tache noire qu'il porte à gauche. Il me regarde.

Je ne sais pas quoi lui dire.

J'hésite.

Mais je crois que je n'ai pas le choix.

-Cours, Johan!

Je hurle, il dresse les oreilles.

-Cours, va chercher maman! Ramène-la avant qu'il ne lui arrive quelque chose!

Ses muscles se contractent, ses pattes se tendent. Il saute dans les bois comme courrait une gazelle. C'est un loup, un prédateur, toujours plus rapide que ce qu'il chasse.

-Cours! Plus vite! Courrez tous! Ne laissez pas maman être blessée! Tous! Courrez tous!

Et la forêt s'éveille, comme si j'étais leur soleil et que je me levais pour la première fois.