Il griffonne, raye, gomme. Il ne sait pas vraiment quoi faire. Manque d'inspiration. Il cherche, raye encore, pose son crayon. Rien ne vient. Manque de disposition. Il fait danser sa mine, s'essouffle, raye à nouveau. Son crayon tombe à même le sol. Manque d'obstination. Les mots ne lui manquent pas, il en connaît un rayon. Son sujet est cerné et clair, pourtant plus rien ne vient à son crayon. Il perd espoir, dégoûté de son quotidien d'écrivaillon.
Ce《 il 》n'est personne en particulier. Il essaye simplement de vivre son rêve d'enfant. Comme beaucoup d'autres autour de lui, il n'a pas réussi. Pas encore, se convainc-t-il dans un soupir interminable. Le voilà qui se lève. Appelons le Monsieur Tout le Monde. Il s'approche d'une fenêtre de son salon et observe le voisinage. Des enfants sur un balcon respirent la joie de vivre. Il cherche une cigarette tout en continuant à les fixer, seulement, son paquet est vide. Son crayon, toujours à même le sol, est aussi solitaire que lui. Monsieur Tout le Monde soupire. Il s'empare de son manteau troué par endroit, abîmé par l'usure, dépose son béret à carreaux sur sa tête puis rejoint l'extérieur. Sa vie, semblable en tout point à un ensemble de clichés romanesques, l'ennui à mourir.
Au-dehors, le froid l'accueille. Lui qui voulait prendre l'air, c'était plutôt réussi ! L'hiver commençait à prendre ses aises dans ses rues d'Eguisheim. Au fil des jours, la température chutait à une vitesse impressionnante. Plus personne n'osait sortir de chez soi lorsque c'était évitable. Personne sauf Monsieur Tout le Monde. Café, cigarette, pense-t-il tout haut, son souffle chaud créant un léger nuage de fumée blanche comme de la neige.
Monsieur Tout le Monde, parcourant les rues vides de monde, ne cesse de se torturer l'esprit. Il ne voit plus rien autour de lui, plus rien d'autre que le fruit de sa pensée. L'échec le poursuit, Monsieur Tout le Monde le nie. Il faut dire que pour tenter de vivre son rêve, il a dû abandonner sa famille restée à Paris, sa ville natale. Depuis le jour de son départ, il n'avait plus eu aucune nouvelle. Triste réalité. Enfin ! Le Café est toujours ouvert ! Mais on ne peut pas y fumer. Tant pis ! Il entre. Le café est aussi vide que la rue d'où il vient. Il s'avance tranquillement vers le comptoir en se frottant les mains d'un geste vif pour les réchauffer. La température extérieure semblait avoir pris possession de ce café. Un léger air de jazz se faisait entendre, ça ressemblait à Almost Blue de Chet Baker.
Toujours gelé, Monsieur Tout le Monde s'installe avec difficulté sur un siège du comptoir. Café noir et brûlant, rumine-t-il à l'intention du serveur. Il souffle dans le creux de ses mains, c'est le cas de le dire le froid lui colle à la peau. Le serveur ne bouge pas d'un pouce. Monsieur Tout le Monde continue désespérément de se réchauffer. Café noir et brûlant, grogne-t-il en jetant un regard agacé au serveur. Ce dernier secoue négativement la tête.
《 Le client est roi, affirme Monsieur Tout le Monde.
_ Vous avez raison. Un café noir et brûlant à cinq euros pour Monsieur.
_ Un café à cinq euros ?
_ Le prix idéal pour ceux qui dénigrent la politesse. 》Il paye, excédé, puis sort sans prendre son café. Le froid n'avait pas disparu dehors. Il se faisait d'ailleurs un malin plaisir à titiller encore plus Monsieur Tout le Monde. Sa cigarette l'appelait de plus en plus. Tabac, cigarette. Monsieur Tout le Monde, les mains dans les poches, part à la recherche de son réconfort. La rue est toujours aussi vide. Et la nuit commence à se glisser entre ces maisons au visage si particulier, ces chaleureuses maisons dont Monsieur Tout le Monde se sent bien plus proche que n'importe quel être vivant sur cette planète.
Un autre soupir, et le nuage blanc se forme encore. Les jours se ressemblent, songe t-il en observant les alentours. Toujours perdu dans ses songes. Monsieur Tout le Monde rentre chez lui. Le froid le vide du peu d'âme qu'il lui reste. Tant pis pour les cigarettes ! Le béret accroché, le manteau déposé, son crayon le pleure par pitié. Les cadres sans photos le jugent avec intensité, il sent leur présence lourde sur ses épaules. Il jure dans un murmure, il avait promis de ne plus recommencer.
Les volets ouverts permettent à un filet de lumière de donner un peu de vie dans cet espace qui donne tout l'air d'être mortifère. Pas de bruit, pas de mouvement. De la poussière en abondance sur les meubles. Et plus la nuit arrivait, plus la vie en disparaissait. Les démons sont de retour. En fait, ils ne sont jamais partis.
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Élodie
Aktuelle LiteraturUn homme en perdition. Une jeune fille simple. Elle est pourtant bien plus que ça à ses yeux.