Élodie

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Voilà plusieurs jours que Monsieur Tout le Monde s'enferme chez lui pour corriger des copies. Ses élèves disent qu'il est de retour. Effectivement, certains l'avait trouvé changé et beaucoup maintenaient l'idée que ce n'était qu'une passade. Les habitudes ne se changent pas.

Noël approche. La saison des fêtes. Fêtes joyeuses. Pleines de vie. Élodie. Il a coupé les ponts avec elle. En cours, c'est une excellente élève, curieuse, investie, qui a toujours réponse à tout. Toujours aussi souriante et énergique. Pourtant, la petite cherche toujours à le revoir et Monsieur Tout le Monde l'évite. Il se doit de le faire. Et depuis leur dernière sortie, Monsieur Tout le Monde n'écrit plus un seul mot.

Il ne rêve plus car il dort à peine. Même les cachets qu'il prend en masse ne l'aide pas à dormir tout comme les innombrables tasses de café ne le maintiennent pas éveillé tout au long du jour. Son inspiration a disparu aussi vite qu'elle était arrivée. Il est aussi seul qu'il ne l'a jamais été. Aussi rude que le choc de la pluie qui martèle le béton du centre ville de Colmar.

Encore une fois, il est assis face à son bureau. Incapable. Devant sa feuille blanche qu'il fixe intensément, il enrage. Ce n'est pas la vie qu'on lui avait promis plus jeune, pleine de rêves, de réussites, de victoires. Il avait espéré tout du long de sa jeunesse. Pour quoi au final ? Pour sombrer dans le vide...

Soudain, il écrit. Il écrit toute la haine qu'il a accumulé envers ceux qui l'ont fait espéré en une vie meilleure. Envers ces gens du monde de la rue qui l'ont dénigré car il était différent. Envers ces individus qui lui ont fait croire qu'il pourrait un jour être au même rang qu'eux, qu'il arriverait à gravir les échelles sociales, qu'il serait un jour respecté. Envers ces Hommes qui l'ont injurié sans aucun scrupule ni aucune pitié.

《 On attend tant de choses de la vie mais parfois on ferait mieux de s'abstenir. Cette chimère te fait croire aux valeurs et au succès. Tout ça, tu le fumes aussi vite que la nicotine de ta cigarette. Ça existe peut être, mais pas ici. Plus maintenant.

Le monde est hypocrite. Ton patron est le pire pédophile qui est jamais existé. Ton voisin est un bâtard sans coeur. Ton meilleur ami est le meilleur des faux-cul. Ta grande soeur gagne sa vie en suçant des queues et ton petit frère est un geek, un no-life associable et haineux. L'école apprend aux enfants à pas foutre leur vie en l'air et eux incitent leur professeur à appuyer sur la putain de détente, au sommet de ton crâne.

On te fait croire en la magie, aux rêves qui se réalisent, à la célébrité puis ton père te rappelles que tu es né en raté et que tu resteras un raté toute ta vie. En quelques phrases, j'ai "niqué le game". Ouais ouais. Game over. Fin de la partie. Accroche la corde autour de ton cou, ça va plus vite que de laisser le sang couler à flot. Et tu sentiras une dernière fois ta douleur, une fois pour de bon. C'est bien mieux que tes cachets à la con.

Alors vas-y. Lance toi. Qu'est ce que t'en as à faire ? Personne n'a daigné faire attention à toi, ça a toujours été. Et ta mère ? Oublie la tu veux ! Elle a jamais pu te donner ce que le monde aurait du t'offrir. 》

Alors qu'il vient de poser son point final, Monsieur Tout le Monde repense à sa mère. Il repense à elle lorsqu'il avait dix ans. Elle était jeune. Et elle était belle. Enfin, ça elle l'a toujours été. Elle a toujours fait attention aux apparences. Rares ont été les fois où ses longs cheveux bruns étaient détachés, pourtant, il la percevait bel et bien debout face à lui, le regard attendri et ses cheveux légèrement ondulés et lâchés.

Elle sentait toujours une douce odeur de gâteau. Elle adorait cuisiner mais ce qu'elle préférait par dessus tout c'était concocter de somptueux desserts pour son fils unique. Sa mère l'a éduqué seule alors même qu'elle était condamnée par un cancer. Lorsque le père de Monsieur Tout le Monde a appris la nouvelle, il les a abandonné. Première déception. La seconde a été le décès de sa mère.

Il ne sait plus quoi faire. Il est désemparé. Sa vie est un enfer interminable. Il n'a jamais eu de rêve et encore moins d'objectif à atteindre. Il est un déchet de la nature. Les gens passent et repassent devant lui sans jamais réagir.

Il veut changer ça. C'est décidé, aujourd'hui, Monsieur Tout le Monde va devenir un autre homme. Il lâche son stylo et se lève de sa chaise. Il se dirige vers son armoire. Les mêmes couleurs froides s'empilent sur chaque étages. Déprimant. Monsieur Tout le Monde prend alors la porte d'entrée et part à la recherche de couleurs pour égayer sa vie.