Enfin. Le bar. Deux gars sont à la terrasse, ils discutent un verre à la main. Ils sont gris et mornes. Aigris par la vie. Monsieur Tout le Monde entre. La chaleur environnante devrait lui faire du bien, pourtant Monsieur Tout le Monde est pris d'horribles frissons qui parcourent, à une vitesse fulgurante, les lignes de son corps et effleurent sa peau. Ça l'agace. Il s'assoit au comptoir, commande sa bière puis, cherchant à oublier cette désagréable sensation, s'attarde sur un article de journal.
"Lorsque je réfléchis plus profondément à mon attirance innée pour la manipulation des mots et de l'écriture, je comprends en quoi il m'est plaisant d'écrire ce que je ressens et ce que j'imagine au fond de moi tandis que je n'en fait pas un ouvrage comme il est d'usage. Il me semble qu'il s'agit de la même passion que celle d'un peintre.
J'ai toujours voulu dessiner les scènes et les paysages qui m'apparaissaient en pensées malheureusement je ne suis de ceux qui en ont la capacité. J'ai appris à quel point il est aussi efficace de peindre un paysage avec des couleurs qu'avec des mots. Les mots encadrent tout ce qui existe sans pour autant les enfermer dans une représentation unique et erronée. Celui qui écrit effectue strictement le même travail que celui qui dessine, il choisit les bons mots, les bonnes formulations pour mettre des couleurs et des formes à ses lettres."
Monsieur Tout le Monde aime beaucoup cette vision des choses. Ce journaliste qui présente d'une manière si simple leur passion commune sait ce qu'il écrit. Et ça, Monsieur Tout le Monde l'envie. Lorsqu'il se retrouve lui-même devant une feuille, un crayon à la main, il ne sait plus que faire. Il est comme... un enfant. Un enfant à qui on demande de faire quelque chose qu'il n'a jamais fait. Il est dans l'incompréhension. Dans le vide. Le néant. Le flou total. Pourtant, il a déjà écrit de nombreux poèmes, écrits tous sur l'instant. Il faudrait songer à écrire autre chose que de simples idées.
《 Trois euros soixante-dix monsieur. 》
Le patron lui demande son dû. Monsieur Tout le Monde n'a jamais compris cette manie que le monde avait prise. Pourquoi chaque chose de la vie a toujours un coût ? Et pourquoi devons-nous toujours consommer sur l'instant ? Monsieur Tout le Monde n'a, en effet, pas encore touché à une goutte de sa bière. Lui qui avait si soif en sortant de l'école. Peut-être parce que consommer en abondance est signe d'une richesse sans nom... Ridicule, pouffe Monsieur Tout le Monde en avalant une longue gorgée de sa boisson alcoolisée. Le monde est fou !
Une sonnette retentit et des rires se font entendre. Quelques sourires prennent place alors sur certains visages comme celui du patron qui, à l'aide de son torchon cramoisi, essuie inlassablement les verres qu'il aligne les uns derrière les autres le long du bar. Ce sont des élèves du collège Victor Hugo. Parmi eux, Monsieur Tout le Monde en reconnaît quelques-uns comme la petite Élodie. Charmante cette petite. Elle fait déjà partie d'une bande d'ailleurs : Zoé, Kevin, Tom et elle. Pourtant, Monsieur Tout le Monde ne voit qu'elle.
L'éclatante et souriante Élodie. Sa longue chevelure rousse et bouclée lui donne un air d'ange tombé des nues, arrivé ici, dans ce bar, par hasard. Elle n'est pas à sa place, murmure Monsieur Tout le Monde dans sa barbe naissante.
《 Qu'est-ce que vous dites ? C'est que vous parlez pas fort, vous savez ? 》
Les gens se sentent toujours concernés par tout. Ils ne se mêlent jamais de leurs affaires. Monsieur Tout le Monde ne veut pas faire d'histoire. Après tout, personne ne parle jamais à ce pauvre homme. Il essaye sûrement de faire la discussion. Après une profonde inspiration permettant à Monsieur Tout le Monde de prendre sur lui, il répondit au patron du bar d'un ton las et monotone.
《 Vous voyez la petite rouquine, là-bas ? Elle n'est pas du coin. Elle vient d'Orange.
_ Ah bon ? C'est bien beau ce que vous me dites là, mais vu que je connais pas ! Peut-être que ce sont ces cheveux qui ont déteint sur la ville ! 》Blague de mauvais goût. Monsieur Tout le Monde préfère s'abstenir de commentaire. Il fait mine de chercher un moyen de situer la fameuse ville. Ses yeux passent de verres en verres. Puis, une idée, encore, lui vient. Cette fois, il n'attend pas de l'oublier. Sans même demander l'accord du barman, il s'empare de deux verres qu'il éloigne légèrement l'un de l'autre.
《 Vous voyez le verre à droite c'est Marseille. Vous savez où se trouve Marseille au moins ? 》
Le patron acquiesce sans pour autant cesser de sécher ses verres à vin.
《 Et Montélimar, ça vous parle aussi ?
_ C'est plus au Nord ça ?
_ Oui c'est ça. Et ben Montélimar c'est mon verre à gauche. Et entre les deux, il y a Orange.
_ Et Avignon !
_ Avignon ?
_ Bah oui, vous auriez du me dire que c'était à côté d'Avignon je m'en serai rappelé ! Avoue le patron tout en riant et en s'éloignant vers d'autres clients.
_ Et comment j'étais censé savoir que vous connaissiez Avignon ? 》
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Élodie
General FictionUn homme en perdition. Une jeune fille simple. Elle est pourtant bien plus que ça à ses yeux.