Prologue

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La ville de Londres était plongée dans le noir, seule la lune éclairait très légèrement les ruelles nauséabondes où sévissaient des crapules invétérées, poursuivant leur marché illégal. Sortir par cette noirceur était plus que déconseillé, c'est pourquoi un couvre-feu avait été instauré par le Gouvernement. Celui-ci devait théoriquement inverser la courbe de mortalité du pays, mais cette mesure ne pouvait régler ce problème majeur.

Le pays se vidait de ses citoyens. Faute de pouvoir quitter l'Angleterre – car depuis peu, on avait interdit tous les déplacements à l'étranger – les gens mouraient. De maladies virulentes comme la peste. Assassinés en pleine nuit comme en plein jour, que ce soit dans une ruelle ou sur un boulevard.

Se sentir en sécurité l'espace d'un instant était dangereux, car cela supposait baisser la garde et donc se faire surprendre. Le Gouvernement avait ainsi mis en place une série de spots publicitaires débités chaque soir à la télévision ou à la radio pour rappeler la menace constante qui pesait sur chaque individu. On pouvait retrouver « Regarder derrière soi, c'est faire preuve de bon sens » ou encore « Garde baissée, mort assurée ». Ces slogans se retrouvaient sous toutes les formes sur les plateformes médiatiques : le chant était privilégié, car une étude du Ministère de la Recherche et des Statistiques (MRS) démontrait que la mémorisation était plus efficace par le biais de la musique. Il était ainsi courant d'entendre ces petites phrases fredonnées dans la rue, au travail et chez soi. De même, sur les emballages alimentaires, les livres d'écolier, les cartes postales ou encore sur les vêtements, ces mêmes phrases pouvaient être inscrites, souvent en lettres capitales et si possible de couleur rouge ; là encore une enquête de la MRS avait porté ses fruits. Par ces moyens, il était impossible de ne pas les connaître. Il était d'ailleurs dangereux de ne pas les savoir. Si quelqu'un vous tombait dessus dans la rue en vous demandant la suite de tel slogan et que vous n'étiez pas en mesure de le continuer, vous encourriez de grands risques : celui d'être dénoncé puis d'être arrêté.

Car celui qui ne connaissait pas ce que le Gouvernement mettait en place était considéré comme un renégat. Un homme de la pire espèce dont la seule volonté était de renverser le pouvoir pour s'en emparer. Aussi, il existait une traque pour déceler ces anarchistes, une traque d'une violence inqualifiable. Le Gouvernement appelait ça l'Epuration, le peuple, les Grandes Purges. Le Ministère de la Sécurité et de la Prévention (MSP) demandait au peuple de remplir leur devoir de citoyen si jamais il était témoin d'un acte disculpant ou s'il entendait une conversation louche. Comme le Ministre de la MSP aimait le dire, il valait « mieux dénoncer pour rien qu'être complice d'un attentat ».

Mais parler était tout aussi dangereux que se taire. Il n'existait aucun geste qui pouvait accorder la survie. On pouvait vivre tranquillement pendant de longues années avant de se voir tirer du lit avec force un beau matin. Le soir même, on gisait six pieds sous terre, que l'on soit coupable ou innocent. Une preuve suffisait à inculper un individu, à le rendre suspect, à lui ôter la vie.

Pour ces raisons, on mourait rarement de mort naturelle.

Le nombre de citoyens s'amenuisait de jour en jour. L'Angleterre n'était plus ce qu'elle avait jadis été. Ce n'était maintenant que chaos, violence et peur. Et le pire était de se dire que cette apocalypse était dû à la vie. C'est ce que je me disais chaque matin au réveil après un soupir de soulagement quand je remarquais que j'étais toujours indemne.

Les hommes tuent, pillent, traquent, torturent. Or, les hommes sont la vie. Mais entre choisir de créer la vie ou de la détruire, ils n'avaient pu se décider. Ils avaient donc choisi de donner vie à l'Apocalypse.

Dépêchons-nous de vivreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant