Chapitre 3

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La manière dont il avançait avec assurance dans la pénombre me poussait à penser qu'il devait certainement déambuler dans ces mêmes lieux le jour, peut-être même y habiter. Sans son aide à la direction, je me serais certainement perdue dans ce dédale de ruelles que je ne connaissais pas. Et quand j'entendis une porte grincer, je compris que mon hypothèse était juste. Il vivait parmi les pauvres, il n'y avait plus de doute possible. Le terrain, il le connaissait que trop bien.

─ Attention aux marches, me prévint-il et il commença l'ascension doucement, me laissant m'habituer à la pénombre et à la hauteur des marches avant de reprendre son rythme de croisière.

C'était gentil de sa part de penser à moi : avec la scène que je lui avais jouée auparavant, il avait sûrement eu le temps de se rendre compte de ma forme physique. Je n'en étais pas particulièrement fière, mais c'était cette absence qui m'avait permis de ne pas trop me faire remarquer en classe.

Etre trop sportif ou être trop intellectuel se révélait dangereux aussi était-il préférable de rester dans la moyenne, ce que j'avais vite fini par comprendre. Se démarquer des autres, c'était attirer l'attention. Je me rappelais vaguement un camarade de classe qui avait obtenu un score inégalable à un examen national. Les professeurs et le directeur étaient venus le féliciter, lui avaient dit qu'il irait loin dans la vie, que le Gouvernement récompensait ces jeunes aussi impliqués dans leurs études.

Et il avait été récompensé. Comment ? Personne ne le savait, mais on ne le revit plus après cet évènement. J'avais fait mes propres déductions et en avais tiré une morale : rester moyen dans toutes les circonstances.

Aussi, lors de ma scolarité, ajoutais-je des fautes à mes contrôles et faire des fautes était tout un art : une erreur grossière pouvait surprendre et interroger le correcteur. Le sport était le seul domaine où je ne feignais pas la chute. Je mordais le tapis sans difficulté en lutte, trébuchais en haie et quant au saut à la perche, je ne décollais même pas du sol. Je me souvins des apostrophes du professeur de sport, des rires de mes camarades, de ces années passées à essayer de rester dans la norme, à me fondre parfaitement dans le moule alors que mon esprit criait de libérer toutes ces idées qui me noyaient. Mais je ne pouvais les mettre par écrit, toujours pour une question de survie, le seul moyen était de les garder enfermées pour toujours dans un coin de mon cerveau.

─ Nous y voilà, souffla mon guide plus pour lui-même que pour ma personne. Sa voix douce était agréable à entendre, je n'en avais jamais entendu de pareille. Peut-être étais-je trop habituée aux mots vociférés, à la constante violence qui persistait dans les paroles. N'était-ce pas normal d'être intriguée par la douceur quand on avait connu que la brusquerie ?

Quand je levai les yeux au ciel, je ne vis que les milliers d'étoiles illuminant l'immensité noire, illuminant les ruines des bas-fonds. C'était un spectacle saisissant. Je n'avais jamais eu l'occasion de voir cela auparavant comme si ces corps chauds ne survolaient que les quartiers défavorisés, comme si cette scène n'était dédiée qu'à ces gens éreintés, déformés par le travail qui se laissaient tomber sur le lit le soir sans un regard pour l'univers. Mais je comprenais pourquoi. Un tel spectacle se méritait. C'était comme être de connivence avec la nature et ça vous rendait à la fois puissant et humble. Je nourris alors des pensées fantaisistes celles qui me faisaient dire que chaque personne qui observerait ce ciel pourrait retrouver sa part d'humanité.

On avait rattrapé ma main, m'extrayant des profondeurs de mon âme et on m'avait conduite vers les extrémités de la terrasse. Plutôt réticente à le rejoindre sur le rebord, je reculais machinalement. Je n'appréciais que peu les sensations fortes et celle de surplomber le vide ne faisait pas exception. Mais il ne me laissa pas le choix, me forçant à m'asseoir à ses côtés. Et puis, de sa voix qui m'intriguait tant, il chuchota :

Dépêchons-nous de vivreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant