Les journaux, les programmes télévisés et la radio, ne relataient que l'attentat orchestré ces derniers jours, durant le procès d'un rebelle.
Le Parti avait décidé de choquer les esprits.
On avait montré, sans aucun souci de pudeur ou de respect envers les familles des victimes, à la télévision, les corps meurtris, immobiles, ensanglantés. Des corps qui ne se relèveraient plus jamais, des corps qui, à peine refroidis, étaient déjà oubliés. Car, ce qu'il fallait retenir de ce spectacle sanglant, c'était la monstruosité de l'organisation rebelle, et non pas le visage ou le nom des victimes.
Une cérémonie avait eu lieu le soir de l'attaque et tout Londres s'y était rendu. Ce rassemblement n'avait été ni calme, ni propice au souvenir et à la tristesse. La seule émotion présente était la haine. La foule avait scandé « mort aux rebelles ! » d'une seule voix. Le chef du Parti avait alors discouru, rappelant la menace que représentait cette organisation et la nécessité à l'éliminer dans les plus brefs délais. Soutenu par le peuple qui l'acclamait, il avait continué : « Cette lutte sera menée à bien, mes chers amis. Nos hommes sont entraînés, prêts à attaquer, à réduire à néant ce groupe qui veut notre perte. Nous pourchasserons les Rebelles, les traquerons, mettrons tous les moyens disponibles et nous les tuerons. Et ainsi, nous vengerons les citoyens qui sont morts aujourd'hui, sous le feu ennemi »
Je me rappelais comment le calme de sa voix contrastait avec la fureur de la foule, comment il avait paru distant, sans émotion face au peuple en délire. Face à nous, à moi. Il avait failli attiser ma colère. Combien il est compliqué de s'attacher à ne pas laisser les émotions des autres nous contrôler ! Combien il est aisé de suivre le mouvement !
C'est emplis d'une haine indescriptible que les citoyens rentrèrent chez eux, imaginant des desseins tous aussi monstrueux les uns que les autres. Ce soi-disant hommage n'avait été programmé que dans un seul et unique but : celui de nous faire croire que nous étions tous liés contre cette organisation.
*
On avait renforcé les patrouilles, remarquai-je, à l'abri dans le bus qui menait à la résidence des Anciens. Le rouge des uniformes était devenu monnaie courante depuis quelque temps. On ne pouvait pas faire un pas dans la ville sans tomber sur des gardes à l'aspect féroce, s'agrippant à leur arme comme un enfant tient sa peluche.
On recherchait encore le ou les criminels qui avaient orchestré cet attentat mais l'enquête s'enlisait. Il n'y avait aucune preuve. La bombe n'était plus que de milliers de petits bouts de métal qu'on avait retrouvés partout : incrustés dans les murs, dans les corps. Les survivants, dont moi, avions été interrogés au Ministère de la Sécurité et de la Prévention : on craignait que l'un d'entre nous soit le coupable et qu'il passe au travers des filets. Mais, on n'avait rien vu de suspect. Sans grand besoin de jouer la comédie – j'étais terrifiée face aux inspecteurs qui ne cessaient de me regarder comme si j'étais une criminelle – je leur avais dit une partie de la vérité : qu'en m'étant rendue aux sanitaires, j'avais certainement sauvé ma vie.
Jamais le prénom d'Alan ne sortit de mes lèvres au cours de l'interrogatoire. Je lui devais ce silence après tout ce qu'il avait fait pour moi et je suis sûre qu'il le savait. Il ne m'aurait jamais laissée partir après l'explosion s'il n'avait pas été certain que je me taise.
Il aurait été tellement facile de le dénoncer, de tout dire à ces hommes qui me faisaient peur et qui me regardaient comme si j'étais une pièce de viande qu'ils leur tardaient de dévorer. De plus, la délation était fortement récompensée, on devenait un élément central du Parti, on vous invitait à toutes les cérémonies. Je voyais déjà mes parents, fiers d'avoir donné vie à un enfant qui rendait un immense service à la nation. Cependant, je ne voulais pas de cette fierté, de cette attention, de cette superficialité et décidait de masquer une partie de la vérité pour protéger celui qui la connaissait aussi.
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Dépêchons-nous de vivre
RomanceLe nombre de citoyens s'amenuisait de jour en jour. L'Angleterre n'était plus ce qu'elle avait jadis été. Ce n'était maintenant que chaos, violence et peur. Et le pire était de se dire que cette apocalypse était dû à la vie. Les hommes tuent, pille...