Jerry n'avait pas relevé la tête une seule fois du sol. Les regards de haine qu'il avait croisés devaient le hanter, les cris de violence, le poursuivre. Avachi sur le fauteuil, il avait un air enfantin, comme un garçonnet pris en faute et qui sait que la punition suivrait, et contrit.
Je me demandais s'il entendait ce que les juges disaient de lui, s'il leur accordait un peu d'attention ou s'il préférait passer les dernières minutes de sa vie à penser à autre chose qu'à un jugement qui le rendrait coupable. Pensait-il à la famille qu'il laissait derrière lui ? En laissait-il d'ailleurs une ? Tant de Rebelles étaient orphelins pour subir le châtiment sans culpabilité, sans se demander si leur femme, leurs parents supporteraient leur perte. Mais Jerry, et je devais l'apprendre un peu plus tard, était le fils unique d'une pauvre famille d'agriculteurs qui ne se remettraient jamais de son absence et qui vivraient grâce à l'organisation rebelle.
─ Tu le vois trembler comme une feuille ? Me questionna Colin d'un ton guilleret à mon oreille et son souffle chaud me fit l'effet d'une bourrasque froide. J'avais peur de lui. Je savais qu'il se réjouissait de la mort prochaine de Jerry comme la plupart, mais sa joie cachait quelque chose de pire.
Et, en effet, le pauvre homme était secoué. Il pleurait en silence, tirait sur ses mains qu'il aurait aimé libérer de l'emprise de la corde pour se cacher le visage et garder un semblant de dignité. Quelque chose de ce spectacle me frappa et je sus que je garderais de Jerry, cette dernière image : un garçon éploré, restant humain face à la mort. Même jusqu'à la fin de sa vie, il avait réussi à garder le silence. Aucun nom de camarade, aucun souvenir ne lui avait paru assez insignifiant pour qu'il ne s'échappe de ses lèvres.
Quand je remarquai que les juges commençaient à quitter la salle pour délibérer, je sus que la fin approchait. J'étais loin de ressentir l'excitation que les autres montraient par des gestes d'impatience ou des sourires, mais plutôt prête à rendre mon déjeuner frugal que je m'étais obligée à prendre plus tôt dans la journée.
─ Rejoins-moi aux toilettes quand tu le pourras, me souffla une voix dans le creux de l'oreille et je n'eus pas besoin de me retourner pour savoir à qui elle appartenait. C'était celle qui hantait mes rêves depuis quelque temps.
Et tandis que je lui laissai de l'avance, j'essayai de rendre mon visage imperméable à toute émotion. Pourtant, au fond de moi, je me posais des dizaines de questions. Pourquoi voulait-il me voir ? Pourquoi m'avoir parlé alors qu'il savait que cela pouvait nous mettre en danger ? Que diable faisait-il ici ? Mais surtout, pourquoi ma consciente me demandait de le suivre ?
Feignant une envie pressante qui ne pouvait malheureusement pas attendre le retour des juges, je ne pus faire demi-tour et tracer mon chemin parmi la foule que lorsque j'eus promis à Colin d'être à temps pour « participer à l'exécution ».
Je retrouvai le silence de l'entrée avec un certain soulagement et me dirigeai vers les toilettes d'un pas que je voulais pressé pour faire croire que je ne m'y rendais que dans l'optique de me soulager et non pas pour parler avec un membre de l'organisation rebelle. C'est vraiment fou tout ça, me dis-je avant de pousser m'engouffrer dans les sanitaires.
Sous la luminosité aveuglante des néons, je le reconnus. Il ne s'était même pas caché. Non, Alan était planté au milieu de la salle comme s'il avait tous les droits d'être ici. Mais il ne possédait pas l'immunité qu'il pensait avoir. Si jamais on le trouvait ici et qu'il était reconnu, il serait pendu au bout d'une corde ou exhiber devant une foule de gens qui voudraient sa mort.
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Dépêchons-nous de vivre
RomanceLe nombre de citoyens s'amenuisait de jour en jour. L'Angleterre n'était plus ce qu'elle avait jadis été. Ce n'était maintenant que chaos, violence et peur. Et le pire était de se dire que cette apocalypse était dû à la vie. Les hommes tuent, pille...