Chaque pas qu'il faisait pour arriver au bout de cet interminable couloir participait à le rendre encore plus nerveux. A l'extrémité de ce long rectangle à peine éclairé, se trouvait le bureau de son supérieur hiérarchique que les Rebelles, entre eux, surnommaient ironiquement Méduse car le bonhomme, qui à prime abord ne transpirait pas l'autorité, avait la capacité à vous pétrifier sur place d'un seul regard. Cette appellation dérivait, bien entendu, du récit mythologique grec dans lequel cette Gorgone a le pouvoir de transformer en pierre tout homme osant la regarder.
En vérité, Méduse avait pour nom Charles Churchill, colonel Charles Churchill. Quand il donnait des ordres, on répondait sans trop réfléchir « Oui, colonel Churchill ! » à la manière d'un automate et cela faisait apparaître sur le visage rougeaud du bonhomme un sourire de fierté qu'il avait bien du mal à contenir. Une fois le dos de Méduse tourné, on riait sous cape de cet énergumène qui n'avait absolument pas le profil de dirigeant tandis qu'il repartait vers son bureau, la mine contente.
Il disait à tout ceux qui voulaient l'entendre, et même à ceux qui ne le désiraient pas, qu'il avait pour ancêtre le fameux Winston Churchill qui fut un jour le premier ministre d'une glorieuse Angleterre et qui avait fait remporter une victoire sans équivoque aux Alliés durant la guerre qu'on nommait la seconde guerre mondiale. Et bien que tout le monde soit au courant que ce nom qu'il portait n'était dû qu'au hasard de la nature, personne n'osait le contredire, même sa femme qui avait eu un jour l'idée de lui démontrer le contraire, en vain. De toute façon, il connaissait si bien l'histoire du véritable Churchill que c'était presque comme s'il était un de ses descendants directs.
Devant la porte du colonel, un homme tenait la garde. A son air ennuyé, il aurait préféré suivre l'entraînement avec son groupe que de devoir surveiller Charles Churchill qui était en mesure de se défendre : il maniait le sabre comme personne et quelquefois, il descendait de son étage, rejoignait les soldats et se livrait à un combat contre un rebelle qui tremblait de peur d'être transpercé ou d'être raccourci d'une main ou d'un bras.
─ Halte, qui êtes-vous ? Demanda le jeune soldat, apparemment nouveau dans le groupe puisqu'il n'avait pas reconnu le commandant Alan.
─ Commandant Alan, le colonel m'a demandé, lui apprit-il et il aurait ri de la tête déconfite du novice s'il n'était pas aussi sur les nerfs et fatigué.
─ Je... Toutes mes excuses, mon commandant !
Il fit même un garde-à-vous mais Alan se fichait bien de toutes ces convenances. Certes, il était gradé mais il se serait volontiers passé de tout ce protocole.
─ Rompez, ordonna Alan avant de taper contre le bois de la porte. Une voix rocailleuse le pria d'entrer et il laissa le jeune soldat se maudire à sa guise dans le couloir.
─ Ah Alan, vous voilà ! S'enchanta Churchill sans lever les yeux du papier qu'il était en train de lire et cela allait très bien au jeune homme qui ne voulait en aucun cas croiser le regard tétanisant du colonel, ses yeux noirs comme l'ébène qui vous faisait penser que pupille et iris ne faisaient qu'une. Alan profita de l'inattention de son supérieur pour observer le bureau. Un endroit en dit souvent plus sur le personnage que le personnage lui-même.
De toute évidence, Méduse était un homme organisé et minutieux. Il avait pris soin de ranger ses piles de dossiers certainement par couleur puisque les couvertures jaunes ne se mélangeaient à celles qui étaient vertes, les stylos étaient tous dans un pot à crayon et non pas à l'extérieur comme ils l'étaient dans le bureau d'Alan. Une immense affiche de Churchill, qu'il avait dénichée on ne savait où, donnait le ton à la pièce et côtoyait le portrait de son propriétaire. Quelle ressemblance pouvait-il y avoir entre ces hommes venant de deux époques différentes ? A part le visage rond et chauve comme une boule de billard, aucune.
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Dépêchons-nous de vivre
RomanceLe nombre de citoyens s'amenuisait de jour en jour. L'Angleterre n'était plus ce qu'elle avait jadis été. Ce n'était maintenant que chaos, violence et peur. Et le pire était de se dire que cette apocalypse était dû à la vie. Les hommes tuent, pille...