Chapitre 10

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─ Veux-tu me faire croire que tu risques ta vie pour améliorer ta condition ? Tu me crois aussi stupide pour avaler de tels propos ? Ricanai-je et tandis que j'attendais qu'il formule une réponse, je m'aperçus que l'aubergiste avait disparu. Helen avait peut-être rejoint la cuisine quand on était trop occupé à se prendre mutuellement la tête. Public ou pas public, Alan allait en prendre pour son grade. J'espérais être à la hauteur de cette tâche.

─ Tu sais ton problème Heather ? Répliqua-t-il, chassant mes questions comme si elles n'avaient été qu'un murmure dans le vent, réaction typique de celui qui n'a pas de réponse à apporter.

─ Eclaire-moi Alan, je n'attends que ça.

Et je savais qu'il n'allait pas se faire prier pour me partager sa pensée.

─ Tu romances tout. Tu détournes les véritables pensées parce qu'elles te sont trop dures à entendre ! Parce que tu n'as pas le courage de leur faire face ! Parce que tu préfères donner vie à un mensonge doux qu'à une vérité amère ! Tu es faible Heather, faible.

Aïe, voulais-je crier, mais là encore cela aurait été lui donner raison. Non, Alan ne pouvait m'atteindre. Il n'avait aucun pouvoir et aucun effet sur moi. Il était juste cet homme que le destin m'avait fait rencontrer, deux fois. Mais ce ne pouvait être une simple coïncidence. Et pourquoi pas ? Me demandais-je. Et si c'était là une nouvelle romance de ma part, un défaut de mon esprit que d'améliorer le quotidien, de croire aux signes divins ? Et si j'avais tort ? Si nous n'étions pas destinés à quelqu'un ou quelque chose ? Si tout ne tenait qu'au hasard et à rien d'autre ?

Entre les pleurs et la rage, j'arrivai quand même à m'exprimer :

─ Mais que reste-t-il si on ne croit pas à ces petites choses ? Quelle serait la valeur d'une vie si nous naissions sans volonté d'aspirer à mieux ? L'utilité à la vivre ? C'est toi le faible, Alan, parce que tu refuses de voir que nous vivons dans un but bien précis, parce que tu restes persuadé et non convaincu, parce que tu as peur de t'apercevoir que depuis le début, tu penses faux. Mais tu sais quoi ? On ne saura probablement jamais qui de nous raisonne juste alors on devrait probablement éviter de se reprendre la tête avec cette question qui touche l'existence humaine.

Alan m'observait presque avec admiration, mais je n'étais pas sûre de mon interprétation de l'expression de son visage si compliquée à décrypter. Peut-être me trouvait-il tout simplement folle à lier. Je n'aurais pas été étonnée de l'être. Vivre de cette façon, c'est-à-dire condamnée à taire ces pensées que je venais de mettre à jour pour la première fois devait me détraquer l'esprit. Même en croyant ne pas être victime du Gouvernement celui-ci m'atteignait, comme il atteignait Alan.

Le jeune homme, au lieu d'entrer dans une colère brusque comme je m'y attendais, sourit :

─ Je crois que tu as raison, chuchota-t-il d'une voix empreinte de douceur mais qui dissimulait une certaine espièglerie.

─ Tu es... d'accord avec ma... façon de penser ? Hoquetai-je, incrédule.

─ Avec cette dernière, je resterai en profonde contradiction mais il semble vraisemblable que la question qui révèle tant d'opposition entre nous ne pourra jamais être éludée.

Et nous nous sourîmes. Pour ma part, son sourire était à l'origine du mien et je sus que ce dernier était à la hauteur de celui qu'il m'avait dédié quand je vis l'éclat dans ses yeux, une lueur qu'il semblait avoir perdue depuis longtemps et qu'il venait de retrouver. Le sourire se transforma en rire, franc, sonore et il s'éleva dans la pièce comme une douce mélodie. L'aubergiste qui avait pourtant quitté la pièce entrebâilla la porte de la cuisine sûrement pour déterminer d'où provenait ce son devenu si inhabituel par ces temps. Et comme moi, elle n'aperçut qu'Alan, cet homme grand, fort, triste, portant un trop lourd fardeau, rire aux éclats et peut-être prit-elle le temps de remarquer la jeune femme plantée devant lui qui décida de l'accompagner dans son concert.

Dépêchons-nous de vivreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant