3.Un guerrier tourmenté

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La  nuit jetait peu à peu son ombre sur la Terre du Milieu. Aria et Eoden avaient chevauché tout le jour, ne s'arrêtant qu'en cas de grande nécessité, afin de mettre le plus de distance possible entre eux et Minas Tirith. Le garçon ne s'était pas plaint une seule fois, bien que sa jambe soit plus raide que jamais. Heureusement, Tolwen, son cheval alezan, avait spécialement été dressé pour lui et par lui afin qu'il réponde au son de sa voix, limitant ainsi l'usage des jambes du jeune homme.

Le soir venu, ils décidèrent d'installer leur campement au bord d'un fleuve. Il leur faudrait le traverser le lendemain, mais la pénombre qui s'était installée avait pour le moment rendu impossible la recherche d'un gué, d'un pont, ou d'une embarcation éventuels.

Aria avait refusé d'allumer un feu, persuadée que cela attirerait à la fois les ennemis, que ce soit des monstres ou des hors-la-lois en quête de proie à dépouiller, et les alliés, les soldats de son père qui voudraient la ramener à Minas Tirith. Eoden ne l'avait jamais vue aussi déterminée qu'en cet instant précis, où elle bravait tous les interdits, tout en démentant les stéréotypes sur le sexe faible. Car il savait que la jeune fille se battait aussi bien que n'importe quel guerrier. Le roi son père l'avait formée très jeune aux rudiments du combat, mais c'était elle qui, par la suite, s'était entraînée sans relâche, jour après jour, afin d'égaler, et de surpasser, les soldats de Minas Tirith. Elle en avait vexé plus d'un là-bas, si bien que certains refusaient désormais de croiser le fer avec elle. Son adversaire préféré demeurait cependant son père, qu'elle n'avait jamais réussi à désarmer tant l'expérience et la sagesse avait fait de lui un combattant aguerri.

Quant à Eoden, s'il parvenait quelque fois à remporter la victoire sur son amie, c'était uniquement lorsqu'ils combattaient à cheval. Là, leurs forces respectives s'égalaient, et l'un n'avait pas si tôt fait de prendre le dessus, que l'autre, par une feinte, réussissait à renverser la situation. On pouvait ainsi entendre les coups du fer contre le fer pendant des heures entières dans la cour du palais.

De ce fait, Eoden était un cavalier et un guerrier hors pair. Le commandant des armées avaient bien tort de ne pas le voir. Il aurait été d'une aide précieuse sur le champs de bataille, en dépit de sa jambe torse, si seulement on lui avait donné une chance.

Ce n'était pas tant aux combats eux-même qu'aspirait Eoden, ni même à la gloire. Mais à la reconnaissance, à l'estime, et à l'honneur de servir son roi et de protéger son peuple. Car un homme qui reste au pays, qui ne se bat pas en tant de guerre, ne mérite pas le statut d'homme, du moins aux yeux des populations de la Terre du Milieu. Si son infirmité avait été causée par les armes, si c'était par suite de ses blessures qu'il n'avait plus pu marcher comme avant, alors on l'aurait respecté, voire admiré. On l'aurait regardé avec compassion, certains, même, l'auraient envié. Mais hélas, la réalité en était tout autre. Suite à un mauvais accouchement, qui avait au passage failli tuer sa mère, il avait perdu toute sensibilité dans sa jambe droite. Ce qui, pour un guerrier, aurait pu être un avantage, puisqu'il ne ressentait pas la douleur, était en fait un fardeau qui le faisait boiter. Et au lieu de compassion, c'était avec pitié et mépris qu'on l'avait regardé, et cela dès son enfance.

Jamais Eoden n'avait connu un homme plus doux que son père, ni une femme plus forte que sa mère (excepté, peut-être, Aria). Faramir et Eowyn l'avait toujours traité de la même façon que son jeune frère Boromir. Et pourtant, il ne pouvait s'empêcher de penser que jamais il n'apporterait autant de gloire et de fierté à sa famille que Bo, qui était devenu célèbre pour ses exploits de jouteur. Eoden avait beau se battre aussi bien que n'importe qui, les gens ne pouvaient s'empêcher de le voir comme un infirme, et non comme un guerrier. Et rien ne l'attristait plus que cela.

Certains jours, il s'en voulait d'être né comme ça, d'avoir fait souffrir sa mère, d'avoir déçu les espoirs de son père, de ne pas avoir été un modèle pour son frère. Et pourtant, qu'est ce qu'il y pouvait ?

Peut-être que cette quête en compagnie de son amie lui permettrait de prouver sa valeur. Il n'attendait que ça. Peut-être que depuis les étoiles qui s'étendaient à perte de vue au dessus d'eux, sa mère le regardait en souriant. Peut-être même qu'elle ressentait de la fierté. Mais de cela, Eoden n'était pas sûr.

- A quoi penses-tu ? lui demanda soudain Aria, allongée à ses côtés sous leur abri de fortune.

Il ne répondit pas et fit semblant de dormir, priant pour qu'elle ne voit pas la larme sur sa joue.

La Dernière larmeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant