4.Fils de Roi

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Pourquoi n'avait-il pu garder sa langue ? Pourquoi avait-il fallu qu'il se confie à sa sœur ?

"Crétin !" se morigéna-t-il. "Crétin, crétin, crétin ! Aranel mon vieux tu n'es qu'un immense et incommensurable crétin !" . Tout en pensant ces mots, il brossait son cheval d'un geste machinal. C'était une tâche qu'il aimait accomplir, qui l'apaisait dans les moments de tourmente. Pour cette raison, jamais il ne laissait son cheval au soin des écuyers.

Le campement avait été établi à l'emplacement de la bataille. Des tentes recouvraient le sol calciné et des hommes encore en armure allaient et venaient en tout sens. Leur victoire ne les rendait même plus joyeux. Car ils savaient à présent que cette bataille ne signifiait pas grand chose, tant l'ennemi était nombreux. Ils savaient qu'il y en aurait bien d'autres encore, et que rien ne servait de se réjouir tant que la guerre ne serait pas définitivement terminée. Ceux qui étaient encore vivants aujourd'hui pouvaient tomber demain sur le champ de bataille.

Aranel avait eu de la chance. Pour le moment...

Il espérait seulement que son père ne le tuerait pas après avoir appris la nouvelle... Lui même avait envie de se donner des claques. Après avoir fini de s'occuper de son cheval bai , il sortit un bout de papier plié en quatre qu'il avait conservé depuis la veille sous sa cotte de maille près de son cœur. Il était rempli d'une fine écriture familière qui faillit le faire fondre en larme après la fatigue et la pression de ces derniers jours. C'est presque malgré lui qu'il relut la lettre.

Aranel, mon frère,

Je profite du fait que Bearol, le messager, ne soit pas encore reparti pour t'envoyer cette lettre. C'est sans doute la dernière fois que tu recevras de moi une réponse. Quand nous parlerons de nouveau, cela sera soit dans le bonheur de s'être retrouvés et l'euphorie d'une guerre finie, soit dans l'au-delà, dans les étendues infinies et éternelles que nous peignent les légendes. Je m'en vais, Aranel. Ta lettre m'a beaucoup fait réfléchir, tu sais. Et ce que tu ne peux accomplir à cause de tes devoirs, je le ferais. Je suis persuadée que Sauron n'est pas détruit et que le réceptacle de sa magie a été réintroduit en Terre du Milieu. Je pars à sa recherche. Je sais que tu t'inquiètes déjà. Mais sois sans crainte, je ne suis pas seule : Eoden est avec moi, ainsi que les dieux. Mon seul regret sera de rester sans nouvelle de toi, de ne pas savoir si tu vas bien, si tu es blessé, si tu es... Mais les sentiments personnels ne doivent pas faire vaciller ma détermination.

Adieu, donc, mon cher Aranel !

Puisse les dieux conduire ton épée au cœur des combats

Quel crétin, vraiment ! Il aurait du savoir que sa sœur allait faire une bêtise ! Leur père serait fou d'inquiétude, et leur mère devait déjà l'être bien plus encore ! Mais après avoir longtemps hésité, Aranel était décidé à tout dire à son père. Si cela pouvait contribuer à retrouver Aria au plus vite, avant que quelque chose de fâcheux ne survienne, alors il n'avait pas à hésiter. Tant pis pour elle, elle lui en voudrait mortellement, mais toute la rancœur du monde serait préférable à une mort sur la conscience et une sœur à pleurer.

C'est donc avec ces pensées en tête qu'Aranel se dirigea vers l'extrémité du campement, où la tente d'Elessar Telcontar était dressée. La nuit commençait à tomber doucement. Les va et vient s'étaient estompés, et l'on n'entendait plus les blessés gémir et agonir. Sans doute dormaient-ils. Mais de quel sommeil ? Et combien s'endormiront à leur tour éternellement avant la fin des combats ? Aranel n'en pouvait plus. Il n'était pas fait pour prendre les armes, mener des guerres, tuer à tours de bras... La nuit, les cauchemars le prenaient. Les mains pleines de sang, il ne savait plus si c'était le sien ou bien celui de ses victimes. Hier, même, il avait rêvé que c'était celui de sa sœur. Il espérait que ce n'était pas une prémonition...

Était-il le seul à faire des cauchemars ? N'était-il qu'un pleutre ? Qu'un couard ? Ou bien étaient-ils tous comme ça, sans oser se l'avouer ? Lui même ne pouvait se décider à en parler, par peur des moqueries. Il était le fils du roi, il fallait qu'il soit courageux comme un fils de roi. Est-ce qu'Eldarion tremblait comme une fillette, lui ? Certainement pas...

Plus tôt dans la soirée, les soldats avaient tué un sanglier qui cuisait à présent au dessus d'un grand feu et quand le fils du roi passa près d'eux, un jeune homme l'interpella.

C'était Eyquem, son compagnon de toujours, dont le dévouement n'avait jamais failli. Un cavalier talentueux dont le courage -et la bêtise- semblaient sans limite. En cet instant, pourtant, Aranel n'avait pas envie de lui parler. Il fit semblant de ne pas l'avoir entendu et poursuivit son chemin à grands pas.

Arrivé devant la grande tente bleu nuit d'Aragorn, il s'apprêtait à entrer lorsqu'il entendit son père parler avec quelqu'un. Malgré lui, il ne put s'empêcher d'écouter. Dès les premiers mots, son sang se glaça et il resta pétrifié.

La Dernière larmeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant