Chapitre 1 : Une Sudiste à Paris

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La calèche, tirée par deux chevaux noirs, s'arrêta dans un concert de hennissements et de bruits de sabots devant l'imposante demeure. Enfin, imposante... Quand on était un citadin accompli et que l'on trouvait les maisons mitoyennes sur leurs deux côtés imposantes.

Fronçant le nez, Isabelle d'Isria avisa la façade d'un gris perle. Cette demeure était dans sa famille depuis des générations. Parfaitement entretenue, elle servait de pied-à-terre à chacune de leurs excursions dans le monde civilisé de Paris.

Elle détestait cet endroit, tout comme elle détestait la pluie qui s'abattait sur elle en fines gouttelettes. Diantre, elle avait l'impression de se trouver dans Londres et sa brume constante ! Comme elle aurait aimé retourner chez elle, dans le Sud... Au moins, il y faisait chaud et beau, pas froid et humide. On eut dit un caveau à ciel ouvert.

-Votre mine ne sied pas à une jeune femme, mademoiselle Isabelle.

Droit comme un I, son majordome avait les bras chargés de leurs deux valises.

-Ma mine sied au temps atroce de Paris, monsieur Justin. Alors, au lieu d'admirer mon fade visage, rentrons ! Je n'ai pas l'intention de moisir sur place.

Son employé ne fit aucun commentaire sur son caractère ombrageux. D'un bon pas, Isabelle traversa la rue, tout en surveillant les calèches. Elles n'avaient pas intérêt à l'éclabousser !

Par bonheur pour les Parisiens, nul ne l'offusqua davantage.

Une fois à l'intérieur, Isabelle découvrit le personnel de la maison en train de lui faire une révérence impeccable. Diable. La gouvernante, qui gérait les lieux en l'absence de la famille, la cuisinière et ses commis, les deux bonnes, le jardinier, le palefrenier, le mécanicien... Tout le monde se trouvait là, plié selon l'angle règlementaire de la courbette à la française.

-Oh, redressez-vous, voyons ! Vous allez vous faire mal au dos, à vous tordre ainsi !

Certains rires doucement en s'exécutant. Ainsi allaient les choses : Isabelle d'Isria avait un sale caractère, ne verbaliserait jamais son bonheur de les revoir, mais ils savaient de quoi il en retournait. Ou presque.

-Ferdinand ! appela-t-elle le mécanicien. Ce maudit téléphone est-il fonctionnel ?

-Hé bien, en deux ans, j'ai eu le temps de bien le peaufiner, mademoiselle. Votre frère n'est pas avec vous ?

-Non, monsieur Armand a décidé de continuer à se prélasser sur la Côte d'Azur. Le climat parisien l'a toujours angoissé, vous le savez.

Entre autres.

-Monsieur Justin, nous sommes heureuses de vous revoir, ronronna la gouvernante.

-Moi aussi, madame, fit platement le majordome, les deux valises toujours en main. Mademoiselle ? Vais-je les installer dans votre chambre ?

-Oui, bien entendu, lança-t-elle avec un regard irrité pour lui. Je ne vais pas me changer dans le couloir, que diable !

Il ne releva pas, se contentant de monter les marches étroites de la maison, tapissées d'une moquette rouge chaleureuse. Monsieur Justin était grand, élancé, sans avoir cet âge si caractéristique des majordomes. Vingt-six ans et toutes ses dents. Ah non, c'est vrai. Il avait craché l'une de ses molaires la semaine passée.

La Marquise SanglanteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant