Ni une ni deux, Isabelle se précipita vers le jeu de croquet dans un coin de la pièce, saisit l'un des maillets, ainsi que l'une des balles en bois. La dernière finit par la fenêtre sacrifiée, tandis que monsieur Justin enroulait le tapis et les éclats de verre autour du corps. Puis il jeta le tout dehors, avec une nonchalance stupéfiante pour les néophytes.
-Mademoiselle d'Isria ? fit la gouvernante en pénétrant dans le salon. Monsieur le commissaire souhaiterait s'entretenir avec vous.
-Ciel, fit-elle avec un haussement de sourcil. Monsieur le commissaire ? Quelle surprise.
-Isabelle ! Comme je suis heureux de vous revoir !
Vêtu d'un trois-pièces impeccable doté d'une montre à gousset et d'un holster garnis d'acier, monsieur Lysandre était un noble très actif. Commissaire de Paris et aristocrate en même temps, il exerçait une activité plutôt dangereuse pour son épiderme, au vu des cicatrices le constellant. Du moins pour les parties visibles : ses mains et ses avant-bras étaient couverts d'un réseau de fines lignes blanches.
-Lysandre ! Mais moi aussi.
Faisant fi de toutes les convenances, il la prit dans ses bras, pour une accolade prouvant leur longue amitié. Ce dont elle ne s'offusqua pas, mais qui lui posa un léger souci : ses seins sans corset s'écrasèrent contre le torse du commissaire, qui parut sursauter au moment du contact. Hum.
-Heu... Je... Tiens, votre vitre est brisée ? s'étonna-t-il pour dissimuler son embarras.
S'écartant d'un pas, Isabelle avisa ses carreaux, tout en levant son maillet de croquet avec un sourire désabusé.
-Voyez-vous, j'ai eu la folie de tenter de l'utiliser dans la maison.
-Oh... Quelle idée !
-Oui, quelle idée... Dites-moi, monsieur Lysandre, comment avez-vous su que j'étais arrivée ?
Son chapeau melon à la main, l'homme, car il en était un, lui fit un petit sourire. Grand, le commissaire était à la blondeur ce qu'était monsieur Justin à la noirceur. Athlétique en dépit de son sang bleu, il était d'une grande gentillesse.
-Du fait de mes fonctions, je sais tout ce qu'il se passe en ville, mademoiselle. Et puis, vous êtes arrivée bien discrètement, alors que vous vous étiez juré de ne jamais revenir dans, je cite, « cet infâme bouge rongé par la gangrène de la stupidité ».
Ha, oui. Les Parisiens n'appréciaient pas que l'on parle ainsi de la capitale.
-Une erreur de jeunesse, monsieur le commissaire, fit-elle avec un haussement d'épaules.
-C'était il y a deux ans.
-J'étais plus jeune qu'aujourd'hui. Oh, vous souvenez-vous de monsieur Justin ?
Les mains croisées dans le dos, certainement pour dissimuler le sang sur ses phalanges, le majordome hocha la tête en direction de monsieur Lysandre.
-Oui, bien sûr que je me souviens de vous, monsieur Justin. Vous êtes toujours là. Tout le temps avec vous, d'ailleurs. À croire que vous êtes son ombre, rit-il.
-Presque, monsieur, presque, murmura l'intéressé.
Interpellée par son ton, Isabelle considéra son majordome, dont le regard était rivé à celui de son invité. Qu'est-ce que... était-il contrarié ? Oui, elle reconnaissait ce léger pli à sa bouche. Il était contrarié. Mais pourquoi ? Ils avaient l'habitude des attaques, pourtant.
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La Marquise Sanglante
Ficción GeneralTrès peu de choses pouvaient mettre la Marquise Sanglante hors d'elle : l'insulter, insulter les siens, toucher à sa famille. Or, en cette année d'exposition universelle de 1889, quelqu'un avait commis ces trois erreur