La Tour Du Temps

Loin

Les lèvres bleuies et les membres engourdis, ils se réveillèrent pourtant de meilleure humeur qu'ils ne s'étaient couchés. L'imminence de la fin du voyage y était certainement pour quelque chose.

Avant de partir, Daën alla vérifier si le camp d'écorcheurs était toujours en place. Ses craintes furent confirmées et, bien qu'ils soient tous endormis, il imposa à Ellyn de les contourner très largement.

Ils chevauchèrent toute la matinée sans faire de pause. Ellyn commençait enfin à s'y habituer. Elle pouvait prendre le temps d'observer ce qui l'entourait, même si seuls des plaines herbeuses et des champs de blé doré s'étendaient sur plusieurs lieues aux alentours de la capitale.

Alors que le soleil était à son zénith, elle aperçut au loin une immense tour crevant le ciel, au sommet semblable à un fer de lance reflétant la lumière aveuglante de l'astre diurne.

Elle le fit remarquer à son compagnon.

- C'est la Tour du Temps. Expliqua-t-il. Elle est située exactement au centre de la cité. On ne sait pas vraiment ce qu'il se passe dedans, l'accès est strictement réglementé. Il paraît que si l'on se tient au sommet on peut voir jusqu'à la côte.

- Pourquoi ce nom ? S'enquit Ellyn, intriguée.

- Les quartiers de Cilopolis sont disposés en étoile, du plus pauvre au plus riche. Les quartiers pauvres sont au nord, les plus riches au sud. A l'exception du quartier central, où se trouvent le château royal, la grande bibliothèque, le haut temple d'Onis et, bien sûr, la tour.

- Et alors ? S'impatienta la jeune fille.

- Alors, en toute logique, son ombre indique l'heure en fonction du quartier qu'elle plonge dans le noir. C'est pour ça qu'elle s'appelle la Tour du Temps. Du moins c'est la théorie la plus populaire.

- Parce qu'il y en a d'autres ?

- D'aucuns disent que la tour était là avant la ville, et qu'elle était l'œuvre d'un mage fou qui voulait altérer le cours du temps pour devenir immortel. Ils prétendent qu'il a réussi mais qu'il s'est ainsi condamné à ne jamais plus sortir de sa tour.

- Et toi, tu en penses quoi ?

- Que ce sont des histoires pour faire peur aux enfants, rien d'autre.

Elle émit un petit rire.

- Tu ne rêves pas beaucoup.

Plus ils se rapprochaient de leur destination, plus la tour devenait imposante. Elle semblait grandir à vue d'œil. Lorsqu'il arrivèrent à l'entrée Ouest de la cité, Ellyn ne pouvait même plus voir le sommet, peu importait à quel point elle se tordait le cou.

La porte de la ville elle-même était ahurissante. Dix hommes debout sur les épaules les uns des autres n'auraient pas pu en toucher le haut, et elle était si épaisse qu'on l'aurait dite taillée d'un bloc dans un arbre géant, de ceux que l'on ne trouvait que dans la forêt d'Arinarya, le domaine des elfes.

Bien sûr cette porte n'était rien en comparaison des murailles qui l'entouraient et écrasaient de toute leur masse ceux qui se tenaient à leurs pieds.

Il aurait fallu être fou pour entrer en guerre contre cette cité imprenable.

Et pourtant, on distinguait sur ces gigantesques murs de pierre blanche la trace des batailles passées, signes qu'elle avait été assiégée de nombreuses fois.

Au pieds des ces remparts, tranchant avec leur blancheur immaculée, de profondes douves remplies d'eau noirâtre dégageaient une odeur nauséabonde d'excréments et de pourriture. Pour rien au monde elle n'aurait voulu s'y baigner.