Le Roi

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Le Roi s'ennuyait.

A mourir.

Assis depuis plusieurs heures dans l'inconfortable trône de marbre sculpté, à écouter les complaintes de nobliaux geignards, il n'avait qu'une envie : se retirer dans ses appartements pour dévorer des livres et passer du temps avec sa femme.

Malheureusement, les plaignants n'en finissaient pas de défiler et la fin de la journée lui réservait encore une longue liste de lois et décrets à signer,ainsi qu'une réunion avec ses conseillers.

Il s'étira allègrement en attendant la prochaine entrée dans la salle. Les quelques membres de la cour présents autour de lui parurent offusqués.

Il s'en moquait bien. Il était le Roi après tout, il n'avait que faire des apparences.

Cela ne l'empêchait pas d'être richement vêtu. Sous la longue cape pourpre doublée de fourrure de selkan qui couvrait ses épaules et tombait jusqu'au sol, une tunique de brocard tissée de fils d'argent exhibait l'emblème de son royaume.

De lourds pendentifs, parés de pierres précieuses et représentant des symboles religieux,pendaient au bout de chaînes d'or passées autour de son large cou.

C'était un colosse, et on n'aurait su distinguer la limite entre la toison épaisse qui lui mangeait le visage et la chevelure parsemée de gris qui frôlait ses épaules et sur laquelle était posée une couronne tout aussi richement ornée que le reste de ses atours.

D'une main lasse, il se frotta les yeux alors qu'un nouveau solliciteur était annoncé en passant la grande porte d'honneur, à l'autre bout de la salle du trône.

C'était un vieux pèlerin équipé d'une canne, qui ne payait pas de mine. Il avança péniblement jusqu'à se placer au centre du puits de lumière créé par le grand dôme de cristal qui surplombait la salle.

Il s'y arrêta et, s'appuyant des deux mains sur son bourdon, effectua du mieux qu'il put un salut vacillant.

Moran lui rendit un vague hochement de tête, avant de demander :

- Quel est ton nom, vieil homme ?

- Je me nomme Filinaen Horibalam, répondit l'homme en bure, mais ce nom est bien trop compliqué, alors je réponds plus souvent au nom de Gilmar.

- Et bien, Gilmar, continua le Roi, quelle est ta requête?

- Je ne viens pas formuler de requête, le détrompa le vieillard, mais proposer mes humbles services à vos côtés en tant que conseiller.

Le rire du Roi ricocha sur les murs polis de la salle magistrale.

- Et quel genre de conseils pourrait bien m'apporter un vieux dévot croulant ? Le railla-t-il. J'ai déjà bien assez de parasites à ma table, continua-t-il en faisant glisser son regard sur les courtisans assis autour, je n'ai que faire d'un de plus.

Le dénommé Gilmar leva alors son bâton dans un mouvement circulaire, avant d'émettre un avertissement :

- Ce soir vous recevrez une série de nouvelles plus accablantes les unes que les autres. Vous chercherez une explication, une solution, mais vous n'en trouverez aucune. Lorsque vous n'aurez plus d'autre alternative, vous vous tournerez vers moi, je vous le garantis. Alors je vous aiderai sans condition sinon une seule : que vous veniez m'en faire la demande en personne.

Moran ne riait plus du tout.Outré par l'impudence de l'indigent, il ordonna aux gardes de le saisir, et de l'enfermer.

Le vieil homme ne sembla pas se défendre le moins du monde, il les suivit sans faire d'histoire. Mais alors qu'il allait disparaître en direction des cachots, il se retourna pour adresser au Roi un sourire énigmatique.



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