La Tour Du Temps

On verra bien

Eté 1463, marché du port d'Ursa

Le soleil éclatant brûlait ses yeux, arrachant quelques larmes aux coins de ses paupières, obstruant sa vision.

Elle frotta nerveusement ses épais cils noirs pour les dégager. Ne pas perdre sa cible des yeux était le plus important.

Elle suivait l'homme depuis un moment déjà. Richement habillé d'étoffes précieuses et de bijoux soigneusement taillés, il regardait les marchandises éparpillées sur les étals comme si elles lui appartenaient déjà.

Une bourse de cuir bien remplie pendait négligemment à sa ceinture et, au vu du soin qu'il semblait lui porter, elle ne lui manquerait pas une fois qu'Ellyn l'en aurai débarrassé.

Elle se faufilait dans la foule avec une habileté durement acquise au fil des années. Invisible à qui ne l'aurait pas cherchée. Un fantôme en plein jour.

Elle attendait le moment opportun : une seconde d'inattention, à l'abri du regard des gardes.

Alors qu'elle n'était qu'à quelques mètres, l'homme s'arrêta devant un étal de bijoux, concentré sur son futur achat, évaluant lequel de ces précieux objets mettrait le plus en valeur sa richesse.

Il leva le bras un instant pour tâter la marchandise, comme l'expert qu'il voulait paraître.

C'est cet instant que choisit Ellyn pour frapper.

Arrivant à sa hauteur, elle fit mine de trébucher, bouscula légèrement l'homme, comme n'importe quel passant aurait pu le faire dans cette foule compacte.

Il ne lui fallut pas plus d'une seconde pour sectionner le mince cordon qui retenait la bourse à la ceinture, la glisser dans sa propre poche et s'éloigner à une vitesse ahurissante compte tenu du flot constant de circulation.

Quelques secondes suffirent cependant à la victime de son larcin pour arrêter son choix sur un lourd collier d'or paré d'un énorme rubis.

Il dirigea sa main vers sa hanche, et fut stupéfait de ne pas y trouver sa précieuse bourse.

Ellyn était déjà à une cinquantaine de mètre de là lorsque le cri retentit :

-Au voleur !

Elle accéléra la pas, bifurqua vers une petite rue adjacente. Mais un garde à l'œil de lynx avait remarqué son comportement étrange. Il se posta devant elle et lui demanda, sur un ton assez peu courtois, de vider le contenu de ses poches.

Bien loin de s'exécuter, Ellyn bouscula violemment le garde, l'envoyant valser à terre alors que ses camarades commençaient à la poursuivre.

Mais la petite voleuse courrait vite, slalomant entre les chariots, promeneurs et autres échoppes, elle avait atteint le bout de la ruelle bien avant ses poursuivants. Elle fit mine de partir vers la droite, mais grimpa en réalité à la vitrine d'une boutique, profitant de l'abri que lui fournissait une calèche qui passait au croisement. Le contrefort créé par la bicoque lui permit de se hisser facilement jusqu'au toit.

Une ardoise mal fixée dégringola et manqua de la faire tomber, trahissant sa présence en s'écrasant en mille morceaux sur le sol pavé quelques mètres plus bas.

En panique, pestant contre un mauvais couvreur, elle prit ses jambes à son cou. Sautant de toit en toit, plus pentus les uns que les autres, avec l'agilité d'un cabri.

Quand elle n'entendit plus que le bruit rassurant des marchands criant à qui voulait l'entendre que leur poisson était le plus frais, elle se décida à redescendre, prudemment, à la faveur d'un coin sombre qu'elle connaissait bien.