Prélude

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C'est comme flotter dans un grand tas de coton. Ou peut-être y nager, je ne sais pas vraiment. Lumière aveuglante et équilibre trouble. Mes yeux peinent à rester ouverts face à la blancheur éblouissante qui règne de toute part. Comment diable suis-je arrivé ici ?

Analyse la situation, Léo. S'il y a bien une chose que tu saches faire, c'est celle-là. Le plus simple, tout d'abord : physiquement, tout va bien. Ni douleur, ni blessure visible. Comment pourrais-je d'ailleurs souffrir, alors que tout autour de moi n'est que douceur et légèreté ? Il me semble que je baigne dans le cosmos, sans pouvoir dire si je me trouve droit ou à l'envers. Mes pieds ne reposent sur aucune surface tangible, tout comme mes mains qui ne trouvent rien à agripper. Lentement, je sens pourtant l'univers tourner autour de moi.

Moralement, la situation n'est pas plus certaine. Je n'ai aucun souvenir d'avant, rien qui ne me fasse savoir comment j'ai atterri dans cet endroit. Sans pouvoir vraiment dire que je m'y suis réveillé, j'y ai en tout cas ouvert les yeux le plus naturellement du monde, comme si une nouvelle journée démarrait au pays du néant. Se pourrait-il que tout cela ne soit que le fruit de mon imagination ? Si c'est le cas, ma raison aura à coup sûr coupé les ponts avec ce qui faisait auparavant de moi un homme sain d'esprit.

­ – Il y a quelqu'un ?

Aucune réponse, c'est inquiétant. Pas plus d'écho : ça, c'est terrifiant. À croire que cet abîme n'admet aucune fin. Le doute n'est plus permis, cela ne peut être qu'un rêve. Je me prélasse hors du temps, attendant patiemment de m'éveiller en sueur dans mon lit moelleux. Pour le moment, il ne me reste qu'à profiter de l'absurdité de l'endroit : dans quelques heures, j'en aurai tout oublié. Courant, sautillant, tournoyant, je chemine gaiement. Une glissade, quelques roulades, et je flotte à nouveau. J'explore toutes les dimensions du monde blanc, dont les contours immaculés m'évoquent des images de nuages bourgeonnants dans le ciel. Vagues et lointaines, des bribes de souvenirs me reviennent alors.

Enfant, je me revois regarder les cumulus rouler dans le ciel, y répandant leurs filaments torturés. Je rêvais de pouvoir un jour leur rendre visite. Bien plus tard, cette idée finit par m'obséder à tel point qu'il devint évident pour moi que ma place était là-haut, parmi eux. Mes professeurs disaient de moi que j'étais tête en l'air, mais moi, c'était le corps tout entier que je voulais y plonger. Lorsque je commençai à piloter, je frôlais l'extase à chaque fois que je faisais grimper de vieux coucous de plus en plus haut, poursuivant inlassablement les énormes boules de coton. Quelle stupeur alors que de découvrir qu'après être passé à travers, il y avait plus fascinant encore : être au-dessus d'elles, tout simplement ! Là où l'homme n'avait pas sa place, et où le soleil brillait toujours ; là où j'étais un empereur régnant sur un monde de villages et de châteaux de vapeur. Rapidement, l'évidence m'apparut : je n'étais plus bien qu'ainsi, les fesses en l'air. Quant à la suite, elle m'échappe désespérément. Seule cette partie de ma jeunesse est limpide, laissant le reste de mon existence flou. J'ai hâte de m'éveiller enfin, tant cette sorte d'amnésie m'angoisse. Qu'as-tu bien pu faire de ta vie, Léo ?

Le silence total persiste alors que je m'immobilise. Je n'ai plus qu'une hâte : quitter au plus vite ce songe effrayant. La vacuité n'est pas faite pour l'esprit d'un homme, tant le champ des possibles qu'elle ouvre l'effraie. En sueur, je laisse ainsi filer le temps. Les minutes glissent par dizaines, par centaines peut‑être ; pourtant, rien ne se produit. Serait-ce autre chose qu'une illusion ? Bien que sinistre, cette hypothèse me force à sortir de ma léthargie. Me reprenant, j'accélère de plus en plus, je pousse le désert de mes pieds, je bats des mains dans la lumière à la recherche d'une échappatoire quelconque.

Tout à coup, ma main bute enfin sur quelque chose. Une chose molle, mais bien réelle, que je parviens même à saisir. Tirant dessus, je l'extrais du vide, j'arrache du néant ce... cette... cette mèche de cheveux ; oui, ce sont bien des cheveux noirs qui dépassent de mon poing serré. Des cheveux de jais, m'évoquant d'autres images. Des cheveux comme ceux de Zoé.

Lengaï [Publié !]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant