Chapitre II.2

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À défaut de faire ce que bon me chante, peut-être puis-je au moins tenter de maîtriser un peu mieux ce qui m'entoure

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À défaut de faire ce que bon me chante, peut-être puis-je au moins tenter de maîtriser un peu mieux ce qui m'entoure. Il y doit bien y avoir un haut et un bas qui se cachent dans ce néant. Allez, mon vieux, t'étais pas si mauvais en gymnastique, à l'école. Deux mains au sol, le corps souple qui bascule franchement ; marcher sur les mains, ça ne s'oublie pas. Tout semble plus léger ici, y compris le corps. Pousse, Léo, pousse sur tes mains !

La pirouette qui, en temps normal, aurait dû finir en une gamelle mémorable, fonctionne pourtant ici : je bondis à l'envers, décollant de plus en plus haut à mesure que je force sur la matière molle qui me sert d'appui. Rapidement, le tournis me prend ; je ne sais plus si mes mains touchent encore quelque chose, alors que mes pieds trouvent une surface sur laquelle rebondir. Tout vrille dans ma tête. Suis-je tombé, de retour à la case départ ?

Ces fichus marécages n'ont donc aucune morale. Être dénués de sens ne leur suffit pas : il faut en plus que les lois physiques n'y aient aucun crédit. Allez mon vieux, amuse-toi, fais des cabrioles magiques, passe du haut au bas comme un reptile agile, évite juste de vomir tes tripes. Tu peux aller où tu veux, par ici ou par-là, comme il te chante. Youpi-oh ! Décollage immédiat, virage serré à gauche, les fesses bien pendues en l'air et la tête dans les nuages, c'est reparti comme avant, ailleurs ! Cap sur Atlanta, rentrez les volets, pilote automatique, nous vous rappelons qu'il est interdit de fumer dans la cabine. Après tout, tout est possible sur la terre-de-rien-du-tout, alors accrochez-vous, c'est l'heure du grand voyage ! On pourrait presque se croire pris dans une tempête, l'estomac salement barbouillé, comme perdu dans une épaisse couche de nuages menaçants.

– Bordel !

Je ne suis définitivement pas en train de piloter un avion, et l'odeur de brûlé qui empeste tout à coup l'atmosphère ne peut pas être celle d'un moteur en feu. Depuis que je patauge dans cet endroit, tout parait insipide, et voilà que ça sent le cramé à plein nez.

Rapidement, je reprends mes esprits et tente de chercher la source de cette odeur. Je ne distingue ni flammes, ni fumée, mais les petits nuages de vapeur semblent devenir plus nombreux. Ils paraissent même s'agiter, comme parcourus d'une vibration soudaine. À moins que ...

– Hé, par ici ! Là, viens donc par là !

Ce ne sont pas les nuages qui vibrent, c'est derrière que cela se passe ! Je suis convaincu d'avoir aperçu un mouvement, furtif et bref, certes, mais un vrai mouvement. Jusqu'à présent, rien n'a bougé dans ce désert, et j'ose soudain espérer que je ne suis peut-être pas son seul prisonnier.

– Oh là-bas, il y a quelqu'un ?

Nouveau mouvement, nouvel espoir. Cela semble encore loin, mais pas assez pour que je ne puisse distinguer dans quelle direction ça se dirige. Je cours à sa poursuite, ou plutôt je nage, écartant les condensats de vapeur de mes deux mains, sautant çà et là, me renversant dans l'espace en suivant ces brefs mouvements tout juste visibles. L'odeur de roussi empeste de plus en plus, mais il n'y a toujours aucun feu autour de moi.

Les apparitions s'accélèrent ; sentant que je me rapproche, je donne tout ce que j'ai dans le ventre pour être le plus rapide. Derrière les nuages, une forme ample se dévoile lentement, noirâtre, qui tranche radicalement avec la pâleur ambiante. Elle tourne sur elle-même et évolue dans toutes les directions, pareille à une toupie folle. Lacérant la vapeur de mes deux poings, redoublant d'efforts, je chemine tant bien que mal. Enfin, je suis assez près pour distinguer les contours de la forme. Ce que je vois m'électrise : c'est une silhouette, celle d'un homme me semble-t-il, grand et mince, agile comme un félin, qui court sans se retourner, ne prêtant aucune attention à mes appels.

– Où vas-tu ? Explique-moi !

Y a-t-il un danger à nos trousses ? Je ne sais même pas si ce qui se passe est réel, ou si mon esprit a juste encore un peu plus déraillé. Une véritable course-poursuite s'est maintenant engagée entre nous, la silhouette me devançant de quelques longueurs tandis que je me faufile péniblement dans son sillage. Plus j'avance, plus la vapeur se fait épaisse et résiste à mes efforts. À mesure que je la repousse, le néant qui régnait jusqu'à présent prend des teintes inattendues. Ci, des reflets sombres, là, des tâches de gris le ponctuent. Le décor paraît se tordre sur lui-même et forme des courbes improbables, dessinant une ébauche de vallon m'encerclant de toute part.

Je ne nage plus ; mes pieds sont maintenant bien ancrés à une surface dure et compacte, bien que toujours invisible. Le fuyard ne faiblit pas, et rester derrière lui devient un véritable calvaire. Suant, haletant, hurlant, ce qui apparait autour de moi m'effraie. Le vallon se fait de plus en plus sombre. Les courbes deviennent floues et s'épaississent. Ce qui ressemblait à de petites dunes ondule maintenant grossièrement, lentement, comme une boue dégoûtante qui gonflerait de l'intérieur. Je me sens mal, l'air est lourd, l'odeur de brûlé nauséabonde, et j'ai la sensation de patauger dans un fluide gluant.

Un bruit s'élève, grincement sourd et grave qui va crescendo. Rapidement, c'est une véritable cacophonie qui retentit, et je suis obligé de courir les mains plaquées sur les oreilles. Concentre-toi, vieux, tout ça n'a pas plus de sens que le néant, concentre-toi sur le type qui court, attrape-le, fais-le parler. Il se prend peut-être pour Bugs Bunny, mais il a bien quelque chose à dire.

– Arrête-toi !

Malgré le vacarme assourdissant, j'y suis presque, je rattrape ce bonhomme tout de noir vêtu. J'enrage, déterminé à le faire s'arrêter, conscient de la chance que j'ai d'en savoir enfin plus. D'un bond furieux, je me jette sur lui pour le faire chuter.

Bordel ! D'un cheveu, je rate mon coup, et m'étale lamentablement dans la boue. Autour de moi, les dunes menaçantes s'agitent toujours, mais Bugs Bunny, lui, s'est arrêté. Debout face à moi, il m'observe. C'est une simple silhouette noire, sans visage et sans formes. J'aimerais me lever et foncer sur lui, vérifier si cette chose est bien humaine, si elle porte un masque que je puisse lui arracher ; mais je reste cloué au sol, pétrifié par le bruit insoutenable. Mes oreilles me brûlent, le son semble pénétrer dans mon corps et le faire vibrer tout entier. Je ne parviens même plus à garder les yeux ouverts, et je ferme mes paupières face à l'ombre inquiétante. Le vacarme m'étouffe ; il s'amplifie, se déforme. D'un grondement, il est devenu strident, puis grinçant. C'est un craquement infini. Des milliards de tonnes d'acier se sont donné rendez-vous autour de moi et se fracassent, se déchirent, s'entrechoquent, crissant comme dans la plus terrifiante des forges de l'enfer. Je suis paralysé. La vibration me déchire de l'intérieur, et réveille en moi des images qui m'affolent. Mes neurones s'activent. Ce bruit, j'aurais voulu ne plus jamais l'entendre.


Lengaï [Publié !]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant